À la suite des événements de Janvier et Novembre 2015, des spécialistes ont cherché à expliquer ce déferlement de haine meurtrière mais semblent buter à en élucider les causes. Seraient-elles de l’ordre de l’innommable ?
Lors de sa conférence du 27 janvier à Amiens, dans le cadre du cycle de conférences de l’ACF-CAPA, Caroline Leduc s’est mise au travail d’en dire tout de même quelque chose, en élaborant une véritable clinique de la haine.
Le réel est en jeu dans cette affaire. Lacan nous l’enseigne, le symbolique ne recouvre pas tout… S’ajoute à cela la recrudescence de la haine de l’Autre « opérant implacablement son éternel retour ». Comment la psychanalyse peut-elle nous orienter dans ce malaise qui touche notre civilisation ? Caroline Leduc a proposé une réflexion sur le thème de la haine à partir des symptômes repérables de ce malaise : le terrorisme islamiste et la montée du Front National.
L’originalité de sa réflexion est de « renvoyer dos à dos terroristes et frontistes dans leur visée de destruction de tout discours ». Le sujet de propagande de DAESH et du FN « vise le même point de structure, le point de ratage du discours du maître occidental où se révèle son envers de jouissance ». Ces propagandes s’instrumentalisent l’une l’autre : sentiment de rejet versus peur de l’étranger. Véritables « entreprises de démolition du discours », elles en invalident la fonction de « traitement de jouissance par un dispositif signifiant qui permet de faire lien social ». D’un côté, le FN disqualifie tout discours politique et vise l’impuissance de nos élites « à traiter le réel contemporain » en dénonçant la vanité du signifiant. De l’autre, DAESH, sous-tendu par une volonté d’anéantissement de notre mode de jouir, dénonce le « ratage du discours humaniste et universaliste de l’occident », dont les idéaux ne parviennent plus à masquer les effets de ségrégation.
L’émergence de la haine se situe au point éthique où le sujet est confronté à l’intime altérité à soi-même « qui habite chacun de nous » et dont le caractère reste insubjectivable. « Le sujet peut se dérober à traiter cette altérité » et se haïr lui-même quitte à localiser en l’autre cette haine. S’arracher à la prise que la haine a sur le sujet, s’en faire responsable dans une sorte d’ « arrachement à soi », apparaît dès lors comme la « seule voix éthique qui s’offre au sujet ». Responsable, le sujet l’est également dans « la façon de répondre à la haine qui le vise » qui convoque tout autant l’altérité qui l’habite.
La haine s’infiltre dans le lien social, « aux points d’impasse du discours du maître ». La haine, « seul sentiment lucide », déshabille les sentiments et les idéaux par lesquels nous voilons d’ordinaire le réel. Elle est une tentative de percer l’être de l’Autre au point de l’indicible. Le langage est toujours menteur pour dire l’être du sujet et c’est justement ce que la propagande djihadiste ou raciste cherche à dénoncer en s’appuyant sur un outil commun : les théories du complot. Par sa disqualification systématique du discours officiel, le complot cherche à dénoncer « la jouissance opaque et mauvaise d’un Autre duplice ». DAESH comme le FN se font « les non-dupes » de cette « jouissance mauvaise qui précède la pacification par le symbolique ».
« Toujours gît, dans une communauté humaine, le rejet d’une jouissance inassimilable, ressort d’une barbarie possible ». Autrement dit, la haine ne disparait pas, l’opération du symbolique est impuissante à la dissoudre. Mais la psychanalyse nous enseigne à nous tenir « averti de sa présence pour ne pas l’accomplir ». L’éthique de la psychanalyse ne serait-ce pas de répondre à la haine par la construction d’un symptôme et le savoir y faire avec ?