
Point de capiton : une clinique sous transfert
Pas de point de capiton conclusif sur le point de capiton, voilà le ton donné par Jacques-Alain Miller lors de l’ouverture de la conversation Uforca à la Maison de La Mutualité, le 18 juin : chaque praticien en fait un usage particulier, pioche dans l’éventail d’acceptions possibles du terme, celui qui lui permet de nommer l’obtention d’un nouage qui tient dans la cure. Sur le plan conceptuel, il a attiré notre attention sur combien les références employées par les intervenants, pour une bonne partie issues du séminaire Les Psychoses, s’avèrent insuffisantes car la fonction du point de capiton doit être saisie à partir du schéma rétroactif de la chaîne signifiante.
Quel point privilégier de cette Conversation si fructifère autour de six cas dépliés dans le moindre détail ? Mon choix porte sur la place du transfert dans la clinique des psychoses : pas de capiton sans l’inclusion de l’analyste par son acte dans le nouage, s’ajoutant comme quatrième élément pour faire tenir l’appareil RSI. La Conversation permet d’attraper l’acte précis qui rend viable cette opération, chaque analyste prenant la mesure de l’impossibilité du sujet à prendre appui sur le symbolique pour limiter la jouissance, privilégie un signifiant du discours du patient, une nomination, que ce soit pour la soutenir, ou au contraire, la délester de son trop implacable, voire la subvertir pour mieux faire saisir les bienfaits de sa fonction sinthomatique. La présence de l’analyste relève ici d’une véritable incarnation en acte, calmant parfois le trop d’élan d’un sujet, l’éloignant subtilement des sentiers de l’exaltation, se faisant lui-même par sa constance orientée, régulateur de l’humeur. C’est ce que Miller a appelé « freiner là où il le faut pour que le sujet reste à la bonne distance de la chose de la jouissance ».
En ce sens, l’acte favorisant la construction d’un point de capiton qui tienne ne relève pas d’une greffe mais de l’extraction d’un terme précis sur lequel le patient pourra prendre appui pour trouver une nomination venant faire bord à cet envahissement de jouissance qui fait du corps le siège d’une large panoplie des tourments relevant de la forclusion. Dans certains cas, le nouveau capitonnage permet que la jouissance puisse enfin être localisée dans un objet hors-corps et l’essentiel de ce qui est ainsi traité est ceci : ces tentatives de guérison, métaphores délirantes ou quête des nouvelles nominations, ne suffisent pas à obtenir un point d’ancrage stable et opérant. Les béquilles du sujet nécessitent d’être forgées aux ateliers du transfert et consolidées par les alliages ciblés, sur mesure, rendus possibles par l’acte analytique. Ici la fonction de l’analyste ne saurait se réduire à celle du secrétaire ou du scribe prenant acte rigoureusement de la façon dont le sujet est martyrisé par un inconscient hors-castration. Il se fait maillon de la production du point de capiton, celle que le sujet échoue à construire tout seul, donnant ainsi à son acte sa pleine puissance borroméenne. Pour un sujet cela consistera à se faire un nom d’artisan, pour un autre il s’agira d’accéder enfin à la possibilité de dire non, ou bien accepter les limites imposées par le symptôme, tandis que pour un autre c’est plutôt l’obtention d’une négativation qui fonctionne comme capiton, provoquant un effet de perte d’un bout de corps jamais entamé par la castration.
Ces capitonnages atteignent la valeur de sinthome dès lors qu’ils assurent « l’articulation entre une opération signifiante et ses conséquences sur la jouissance du sujet »[1] et c’est pour bien cerner la façon dont cela se produit que Jacques-Alain Miller a attiré notre attention sur l’importance de ne pas négliger dans l’exposé des cas, la fonction de l’objet a dans son statut d’objet non-extrait, non-perdu, dans la clinique des psychoses. Le point de capiton ne se limite pas à la dimension signifiante, il doit inclure, dans ce qu’il vient border, l’objet en trop. Ainsi, une question plus large vient déborder ces nouages obtenus sous-transfert, celle de savoir comment la sublimation peut venir à la psychose. Nous avons été sensibles à la façon dont Miller a fait résonner ce terme de « psychose à sublimation » pour bien ponctuer que les modifications obtenues s’étendent parfois à l’ensemble de la vie du sujet.
La Conversation a dessiné avec brio plusieurs chantiers possibles dans la cure, pour bâtir au fil du temps un point de capiton efficace et vivable. Nous avons touché du doigt combien cette voie est praticable à condition que l’analyste puisse supporter sa fonction dans cette zone où le symbolique fait cruellement défaut pour contrer un réel féroce. Et pour cela il faut que les analystes soient comme le disait Jacques Lacan, « vachement cuirassés contre l’angoisse[2] ».
[1] Miller, J.-A., La Conversation d’Arcachon, Cas rares : les inclassables de la clinique, Agalma, 1997 ? p. 176.
[2] Lacan, J, Le Triomphe de la religion, Seuil, Paris, 2005, p. 79.
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