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Paroles de femmes

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Le choix de cette séquence n’est pas sans lien avec l’affaire Weinstein et les différents # qui ont défrayés la chronique depuis un an. Une séquence pour décrypter les enjeux de cette libération de la parole des femmes : qu’en est-il sur le terrain ? Nous avons invité trois professionnelles pour tenter de répondre à cette question – Maître Anne Bouillon, avocate à Nantes, reconnue pour son engagement dans la cause des femmes ; Christèle Cheval, policière au Bureau d’aide aux victimes et Lucie Guerreiro, assistante sociale à l’association Solidarité Femmes. Parole de femmes a réuni trois femmes et deux psychanalystes – Christiane Alberti et moi-même. Toutes ont en commun d’offrir à des femmes un espace où elles peuvent déposer, déployer, une parole – parfois, souvent – tue.

Rectification subjective

Lucie Guerreiro, a mis au travail à partir de ce que ces témoignages de femmes victimes de violences conjugales ont fait raisonner en elle. Au début de sa pratique, elle est animée d’un désir de dire à ces femmes combien elles ne sont pas responsables des violences subies mais victime. Elle se heurt a une impasse subjective, son impossibilité d’entendre ce dont toute témoigne, qui est leur responsabilité dans le choix du partenaire devenu violent. En découvrant son impossibilité, elle fait un pas de côté. Réalisant ce point aveugle, son accompagnement auprès de ces femmes se modifie. Elle nous plonge dans une rectification subjective où écouter n’est pas entendre, où « ôter à ces femmes leurs responsabilités psychiques, c’est les soumettre au désir de l’Autre. » Lors de la discussion, Éric Zuliani lui propose de remplacer responsabilité par impliquer : être impliqué malgré soi dans la folie de l’autre peut-on traduire après-coup. Au-delà de la profession, elle témoigne combien la subjectivité de chacun fait obstacle pour que la parole dite, puisse se déployer et être entendue. Elle a su repérer ce qui pour elle a fait obstacle pour pouvoir le dépasser et entendre autrement le témoignage des femmes.

La rencontre

Au bureau d’aide aux victimes, Mme Cheval accueil 40% de femmes victimes de violences conjugales et 40% victimes d’abus sexuels. Elle nous fait part d’une rencontre marquante, au début de sa pratique, avec une femme d’origine étrangère dont le témoignage lui fait ouvrir les yeux sur une face de la France méconnue jusque-là, nous confie-t-elle. Il s’agit d’une femme venue la voir accompagnée d’une autre femme qu’elle a rencontrée lors d’une formation pour un futur emploi. C’est elle qui lui parle de Mme Cheval. À cette occasion elle lui relate le calvaire qu’elle subit au quotidien. Quelques années plus tôt, un homme est venu la chercher dans son pays pour l’épouser. Compte-tenu de l’avenir bouché dans son pays, elle accepte de l’épouser et le suit. C’est à son arrivée en France que la promesse idyllique vire au cauchemar. Le prince se révèle bourreau. Sous la menace de l’obtention de ses papiers, elle accepte les pires humiliations, injures et agressions sexuelles, finissant par croire ce qu’il lui martelait : qu’en France elle n’est rien, que personne ne la croira. Mme Cheval prend le temps de l’écouter déplier son récit et lui fait valoir ses droits en l’aidant à formaliser sa plainte. Elle trouve ainsi la force de porter plainte et demande un euro symbolique en dédommagement. Depuis, elle travaille, s’est remarié avec un « gentil français » avec qui elle a des enfants, souligne Mme Cheval non sans humour et emplie d’émotions. Mme Cheval précise que sa pratique nécessite différents temps qui va de l’accueil au conseil sur-mesure à partir de là où en est la victime. Si cette dernière ne souhaite pas porter plainte, elle ne peut rien faire, seulement être là.

Paradoxe

Maitre Anne Bouillon témoigne de son côté de la naissance de son militantisme, où la rencontre avec ces femmes, lui ouvre les yeux sur la condition des femmes en France et l’ont amenée à s’engager activement pour leur cause. Le nombre croissant de violences faites aux femmes l’amène à se demander, à nous demander – Avons-nous progresser ? La parole des femmes est-elle entendue ? Si au début de sa pratique elle se fait appeler avocat – comme le veut la coutume – aujourd’hui, elle tient à être nommée avocatE, pour souligner son être femme car martèle-t-elle : « ce qui n’est pas dit n’existe pas. » Ajoutant que sa spécialisation – droit des femmes – n’existe pas, a contrario du droit des mineurs ou des étrangers. Rien n’est codifié concernant les femmes. En effet, explique-t-elle, par leurs luttes légitimes et radicales pour l’égalité hommes-femmes, les femmes ont fini par ne plus être sexuées. Cette spécialisation – qui n’existe pas – elle la crée au fur et à mesure de son engagement féministe ; et en tant qu’avocate, elle défend cette parole pour qu’elle produise un effet sur l’institution judiciaire. Au point de se demander si nous avons progressé dans cette libération de la parole des femmes ? Elle répond par c’est un working progress. Pour répondre à cette question, elle relève un paradoxe celui du signifiant « victime » et du profil type attendu par l’institution judiciaire. Ce profil ne répond pas dans son universel aux paroles des femmes qu’elle reçoit. Toutes non pas le profil « type » de la victime. Certaines, pas-toutes, se révèlent sous la figure de Médée, rageuses et déchainées. Elle se trouve ainsi prise entre ces femmes qui expriment de façon singulière et hors les normes leurs souffrances, et le juge qui va juger ou non si on est face à une victime. Forte de son franc-parler et de sa sensibilité, elle compte bien faire valoir cette diversité féminine. Elle relève, tout comme la policière, une explosion des dépôts de plaintes depuis l’affaire Weinstein. Toutefois, la nuance est de taille. Si la parole a toujours existé chez les femmes, les oreilles se sont elles débouchées. On le perçoit nettement par la diminution du refus de prendre les plaintes, insiste-t-elle. La parole des femmes est davantage accueillie et entendue. Elle est moins banalisée, jugée, elle est prise au sérieux. Voilà le changement.

Misogynie ordinaire

La clinique dont ces trois femmes de terrain ont témoigné révèle un « réel cru auquel on a affaire, pointe Christiane Alberti rappelant les chiffres donnés par Maître Bouillon, – une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups d’un homme – c’est énorme, un réel massif qui ne diminue pas. » La pratique de la parole s’est répandue : ce qui amène Christiane Alberti à poser cette question : qu’est-ce que parler ? Ainsi, les témoignages entendus nous amènent à poser que pour parler, il faut amener son corps. Donner la parole c’est pouvoir accueillir et accepter les paradoxes : nos invités ont su témoigner de cette force-là. L’autre point relevé par Christiane Alberti touche au « racisme anti-féminin et combien lire Lacan nous aide à interpréter ce phénomène de la manière suivante : « L’autre jouit d’une façon différente de la mienne et je le refuse, voilà la racine de la dévalorisation des femmes, une façon de jouir, d’aimer qui n’entre pas dans les cases. » Ainsi, l’inexistence du Droits des femmes d’un point de vue juridique, témoigne combien quelque chose des femmes ne peut pas se loger toute dans le discours. Ainsi, cette domination qui s’exerce sur les corps des femmes relève-t-elle d’une misogynie ordinaire comme elle a existé de tout temps ou est-ce propre à l’époque ? s’interroge Christiane Alberti. Réveiller les consciences politiques est le combat de nos invités. Les psychanalystes d’orientation lacanienne ne peuvent que les rejoindre dans cette cause commune.

 

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