Reflections from a Londoner eye on J44

La voulez-vous lire en anglais alors qu’elle nous arrive, elle tombe, direct de Londres ce lundi 24 novembre juste avant le dernier cri des rotatives qui vous envoient ce dixième numéro de l’Hebdo-Blog?

À vous de choisir ! Enjoy !

Although I still cannot quite understand French as it is spoken, and I have to struggle to catch hold of the words, it still seems more valuable to attend these Journées than to stay at home. It is the kind of conference I have always wanted to attend – one that shows a community at work over time, revealing how the theoretical questions not only meet the practice one by one, but also how it informs the way the community organises itself through the various media networks, and again to key aspects of the culture. Last time (Trauma) I was really surprised to see psychoanalysts in conversation with the emergency services, and was very moved by exchange between the two. This time I was thrilled to see the performances of three extracts from the theatre, especially Mrs Klein – the play by Nicholas Wright – which quite by chance I had tickets for the very next week in London. The experience of being amongst the throng of people pressing to get into the auditorium to watch the three theatrical pieces on Sunday afternoon was enlivening and joyous. The whole event encourages me to participate more, to join in.

 

Bien que je ne puisse pas toujours tout à fait comprendre le français tel qu'il est parlé, et si j’ai quelque difficulté à attraper les mots, il semble bien plus précieux pour moi d’assister à ces Journées que de rester à la maison !

Ces Journées incarnent bien le genre de « Conférences », auxquelles j’ai toujours voulu assister, qui montrent une communauté au travail au fil du temps, révélant comment les questions théoriques, non seulement répondent à la pratique du un par un, mais aussi comment elles nous enseignent sur la façon dont les communautés se sont organisées à travers les différents réseaux de médias. La dernière fois (Journées sur le Trauma) j’ai été vraiment surprise d’entendre les psychanalystes en conversation avec les services d'urgence, et j’ai été très touchée par ces échanges.

Cette fois, j’ai été ravie de voir les performances de trois extraits du théâtre, en particulier Mme Klein - la pièce de Nicholas Wright - alors que, tout à fait par hasard j’avais des billets pour la semaine suivante à Londres !

L'expérience d'être parmi la foule de personnes se pressant pour entrer dans l'auditorium pour voir les trois pièces de théâtre le dimanche après-midi a été vivifiante et joyeuse. Le tout m’encourage à participer davantage, à m’y joindre, à cette expérience !

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Nous sommes les bébés du futur

Nos 44es Journées viennent de s'achever sur un air nouveau. On a trouvé ensemble, un par un et une par une, des idées et des approches qui nous ont transformés encore une fois, dans l'ouvrage, dans la joie et dans notre désir envers l'École.

Il fallait pour cette gestation, ce signifiant si beau : ÊTRE MÈRE. Comment aurait-t-il pu en être autrement ? Tout, autour, appelait à la naissance ! Depuis les crocodiles dévorés avec audace comme acte inaugural, les magnifiques séquences de samedi, toutes aussi délicieuses les unes que les autres et si bien orchestrées, jusqu'à ces magnifiques scènes de théâtre du dimanche où Mélanie Klein, mère, nous a bouleversés par sa férocité, Mariana Otero troublés par sa sensibilité envers l'absence et où Christophe Honoré avec son innocence, a réussi même à nous fait rire.

Il faut dire que deux choses m'ont le plus marquée : le rouge à lèvres indélébile de Michèle Elbaz et l'étrange machine à bébés. J'ai vu beaucoup de nos participants s'approcher, avec un air bizarre et méfiant, de cette drôle de machine énigmatique. Les gens paraissaient un peu fascinés et terrifiés. Effet réussi.

Mais finalement, ne pourrions-nous pas dire, dans l'après coup, que ce sont 3100 bébés du futur qui, à la fin de ces Journées, sont nés ? Que la machine à fabriquer des bébés désirants dans chacun de nous n'est autre que la psychanalyse mise à l'épreuve, et en acte ?

Je suis sûre, après avoir entendu les uns et les autres parler et partager encore et encore l'impact produit par ces Journées, et l’effet qu’elles ont fait naître en chacun, que nous sommes tous les nouveaux bébés du futur, que quelque chose de nouveau est né en chacun de nous, et que longue vie aura ainsi la psychanalyse !

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En finir avec l’enfant comme objet a libéré

Être, d'abord, touché par un propos de Lacan qui fait énigme, nous en faisons bien souvent l'expérience.

Dans cette rubrique « Comment l'entendez- vous? », nous avons voulu que s'éclaire pour vous, pour nous, une forme usitée et complexe, insistante, qui résiste et qui nous est précieuse.

Nous demandons à nos collègues d'écrire, de façon vive et précise, comment ils s'en saisissent, quels usages ils en ont aujourd'hui. 

En finir avec l’enfant comme objet a libéré [1]

Eric Laurent le rappelait : « c’est à partir de l’enfant que se distribue la famille » contemporaine – mais de l’enfant comme « objet a libéré »[2]. Au-delà de l’idéal qu’il représente, l’enfant arrive dans le monde en place d’objet produit par le couple, pris dès sa naissance dans la jouissance de ses parents. C’est ce que Lacan a proposé de noter : objet a. L’enjeu pour l’enfant sera de passer d’une position d’objet à une position de sujet. Cela suppose d’avoir pris position.

La langue traduit cela : le bébé est d’abord objet d’amour, objet de soins. Si la mère peut exister comme femme, si elle désire ailleurs, cet « objet-enfant » divise la mère (il la divise entre mère et femme). Cette faille dans la mère est énigmatique, mais ouvre aussi un espace où il va pouvoir se loger comme sujet, s’éloigner de sa position d’objet et « modeler » son désir. Lorsque cet espace s’obture, l’enfant se trouve sans médiation, enfermé dans un rapport duel. Il devient objet de jouissance de la famille, pas seulement de la mère, mais de la famille et, au-delà, de la civilisation, note Éric Laurent.

Proposer à l’enfant de se réduire à l’objet dissout sa particularité. Il est invité à s’identifier à « ce petit bout » de « plus-value »[3] autour duquel vont s’organiser la famille et au-delà, l’école, le pays…[4]. Jacques-Alain Miller a donné à l’Institut de l’enfant plusieurs textes sensationnels à ce sujet[5].

Dans la clinique, il s’agit surtout de cerner la réponse de l’enfant : comment il se voue à incarner dans le réel l’enfant idéal de la mère, à lui servir de fétiche, ou à venir saturer son manque – ou bien s’il va inventer une réponse pour accéder au Je afin de compter pour Un séparé de l’Autre. Il peut trouver recours dans la médiation paternelle ou dans un symptôme qui se mettra en travers du collage mère-enfant, semant la zizanie, désorganisant la famille ou l’école : à partir d’un savoir inconscient, le symptôme de l’enfant se fait alors réponse du réel.

Dans tous les cas, « l’enjeu » c’est le « Je »[6]. C’est en cela que Lacan parle de « drame familial »[7]. En témoigne Kevin[8] : sous couvert du test de QI l’ayant déclaré « surdoué », signifiant auquel il s’est identifié, Kevin est devenu « l’objet transitionnel »[9] dont se complète le couple parental. Soumis à un programme d’activités contraignant, il n’a aucun espace de parole. Qu’il souffre d’hallucinations et dorme toujours dans le lit de ses parents à sept ans ne compte pas. L’enjeu du traitement a été de faire advenir la parole de Kevin malgré des séances faites en présence de ses parents, tant ces derniers se sentaient persécutés par la moindre séparation. Avec Kevin, je n’ai pu « en finir avec l’objet a »[10], mais faute de pouvoir le recevoir seul j’ai parié sur la coupure et son pouvoir d’introduire un peu de séparation là où le Un régnait.

Pour Capucine, « en finir avec l’objet a » a consisté à interroger son désir. Lorsqu’elle consulte à quinze ans, cette jeune fille hystérique se présente comme lisse, sage, tirée à quatre épingles. Elle se fait depuis l’enfance, tout comme son frère, docile à un père ayant mis ses enfants en place d’objets de son fantasme d’éducateur. C’est « une mission » et il a cessé de travailler pour que ses enfants réussissent à l’école. Lorsque le frère part faire ses études à l’étranger, Capucine vit un laisser-tomber qui la convoque comme sujet. Elle est en classe de Terminale, l’heure des choix d’orientation et le départ du frère ont ouvert une faille vertigineuse. Elle ne se reconnaît plus, crie en classe, fait des crises, rejette tout ce qu’elle aimait, copines comprises, et va jusqu’à arrêter le Conservatoire alors qu’elle se destine à une carrière. Son travail analytique la conduira à se laisser progressivement « ébouriffer » par une énonciation plus personnelle qui va la sortir du miroir, non sans quelques « drames familiaux », sa nouvelle indépendance suscitant cris et grincements de dents.

Ainsi, le « drame familial »[11] qui se noue à la croisée des chemins de l’enfant a la structure d’une métaphore. Lacan en parle comme d’« un éclair entre deux portes »[12] pour « montrer…ce qu’il en est »[13]. La famille a une « fonction métaphorique »[14] : c’est par une substitution qu’un enfant, identifié à l’objet plus-de-jouir, se fait objet dans le fantasme. Et c'est par une autre substitution qu’il va s’en extraire.

C’est toujours fugitivement, en un éclair, que le sujet subjective par quel renoncement il s’est fait ainsi objet condensateur de jouissance. L’éthique de la psychanalyste commande de le reconduire à cette jouissance ignorée, ce qui suppose un désir particularisé, mais aussi la vivacité de l’éclair pour saisir ce moment. C’est pourquoi Freud disait que l’analyste, comme le lion, ne bondit qu’une fois[15].

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 293. [2] Laurent É., « L’enfant, objet a libéré », La Lettre mensuelle, n°251, sept-oct 2006, p. 6-7. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D'un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, p. 29. [4] Laurent É., « L’enfant, objet a libéré », op. cit., p. 7. [5] Voir notamment Jacques-Alain Miller, « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Collection de la Petite Girafe, Navarin Editeur, Diffusion Volumen, 2011, p. 13-20 et « Interpréter l’enfant », Intervention à la deuxième Journée de l’Institut de l’Enfant (IE), Issy-les-Moulineaux, samedi 23 mars 2013 sur le thème de la Journée de l’IE de 2015, tous deux disponibles en ligne (octobre 2014) à l’adresse : http://www.lacan-universite.fr/category/i-e/orientation/ [6] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op.cit., p. 293. [7] Ibid. [8] Les prénoms ont été modifiés. [9] Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 368. [10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op.cit., p. 293. [11] Ibid. [12] Ibid. [13] Ibid. [14] Ibid. [15] Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome II, Paris, PUF, 1985, p. 234 : « Une fausse manœuvre est irréparable. Le proverbe, le lion ne bondit qu’une fois, a nécessairement raison. »

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Dans le vif d’une conférence d’Hélène Bonnaud : Nancy Huston, from the bad new to Bad Girl

La conférence tenue par Hélène Bonnaud, à Amiens, à propos de l’inconscient de l’enfant et l’analyste[1], a fait résonner pour nous que l’inconscient est fondé sur ceci, comme nous l’indique Lacan, « […] que dès l’origine il y a un rapport avec “ lalangue ”, qui mérite d’être appelée, à juste titre, maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. »[2] L’enfant n’est pas issu d’une abstraction, c’est bien pourquoi la pente du sujet qui fait l’expérience de l’analyse, est de parler de sa maman et son papa. Lacan ajoute qu’il « a eu une histoire et une histoire qui se spécifie de cette particularité : ce n’est pas la même chose d’avoir eu sa maman et pas la maman du voisin, de même pour le papa. »[3]

La lecture du dernier ouvrage de Nancy Huston nous a mis au travail sur cette assertion articulée à cet autre dit de Lacan selon lequel « nous sommes les fils du discours »[4].

Huston nous fait entendre ce qu’a été pour elle, la rencontre de son corps vivant attrapé par le discours : « À compulser tous ces jolis débris, lettres, photos et souvenirs, qui flottent dans le liquide amniotique avec toi petite Dorrit, on ne peut qu’être frappé par le fait que ce sont des femmes qui te mettront en contact avec la littérature et la musique. »[5]

Bad Girl, classes de littérature, récit autobiographique de Nancy Huston nous enseigne sur ce qui a poussé la bad girl à écrire. Elle nous présente les rencontres qui ont marqué son parcours comme des « classes de littérature ». Enfant non-désirée, puis abandonnée par sa mère, elle a cherché à comprendre tout au long de son œuvre ce qui s’était passé ce fameux jour où sa mère est partie très loin de ses enfants. Elle nous livre ce qu’elle a mis plus d’un demi-siècle à saisir, à admettre : qu’elle avait été promise à la mort.

Si Lacan a pu soutenir les incidences sur le sujet du non-désir d’enfant, notons qu’il s’agit moins de l’enfant que du sujet, qui de n’avoir pas été admis dans la chaîne signifiante, veut alors en sortir, se trouvant ainsi corrélé au suicide[6]. Plus tard, a contrario, il soutiendra que « Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre ».[7] Nous articulerons cette proposition frappante avec ce qu’il avait auparavant affirmé : « nous sommes les fils du discours. » C’est ce dont nous parle Nancy Huston : « nous savons si peu, si peu sur le pourquoi de notre être-en-vie. »[8] Telle une brodeuse, Nancy Huston sait pourtant que nous interprétons toujours, nous tentons toujours de donner du sens là où il n’y en a pas.

C’est le parti pris de l’écriture qui étonne, elle s’adresse sous la forme vocative, au fœtus qu’elle a été pour parler d’elle, fœtus qu’elle a nommé Dorrit. Ainsi, les neuf mois de grossesse seront le temps de lui raconter le sujet qu’elle va devenir en parcourant les discours qui ont présidé à sa naissance, puis ce qu’elle aura pu en faire. La petite Dorrit[9] est le titre d’un roman de Dickens, qui consonne en anglais avec Horrid, abominable, évoquant l’horreur qu’a été pour sa mère la nouvelle de sa grossesse : « Tu t’accroches. S’accrocher, Dorrit, sera l’histoire de ta vie. »[10]

Elle dresse le portrait de ses aïeux, de la barjoterie familiale qui précéde la venue au monde de ses parents. L’histoire se déroule dans les années cinquante, dans l’ouest du Canada. Kenneth et Alison, ses parents sont alors encore jeunes étudiants, ont déjà un enfant qui souda peut-être malgré eux leur union, quand un second enfant est annoncé, c’est la mauvaise nouvelle.

Huston, retrace alors d’une manière tout à fait originale, le trajet qui s’est noué pour elle, sans le savoir, de la bad new à la bad girl à laquelle elle s’est identifiée. N. Huston répond aux commentaires qu’a pu susciter l’abandon maternel qu’elle avait déjà évoqué, oui, cela a été tragique et pour sa mère, et pour elle. Mais contre toute attente, c’est là où elle loge son être, devenir « une femme de lettres »[11]. Sa mère, face à l’ultimatum de son homme, choisira de quitter son foyer, en femme moderne, en avance sur son temps, ne se résolvant pas à être uniquement mère au foyer. Ce sera le début d’une correspondance suivie entre la mère et la fille, mais également l’invention de personnages peuplant l’imaginaire de l’enfant, Nancy Huston.

Huston saisit, par fragments, son usage de l’écriture telle une réponse à la mauvaise nouvelle qu’a été sa naissance pour sa mère. La généalogie est faite de mots, de signifiants, ce que H. Bonnaud met en pratique avec le cas de l’enfant mutique, diagnostiqué autiste. Qu’il ait eu la chance de rencontrer un analyste, lui a permis de mettre en circulation un signifiant, puis un autre, l’inscrivant dans la chaîne signifiante, lui rendant la parole. H. Bonnaud, avec le savoir-faire, qu’elle a su tirer de l’expérience de sa cure, de ses contrôles et de sa formation a su faire passer son savoir-y-faire avec le symptôme quand celui-ci entrave le sujet dans son rapport au désir.

* Huston N., Bad Girl. Classes de littérature, Arles, Actes Sud, 2014. [1] Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant – Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2013. Conférence, le 8 Octobre 2014, en ouverture du cycle de conférences à Amiens de l’ACF-CAPA. [2] Lacan J., Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, 1976, « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines – Le symptôme », p. 47. [3] Lacan J., ibid., p. 45. [4] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil 2011, leçon du 21 juin 1972, p. 235. [5] Huston N., op. cit., p. 62. [6] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, leçon du 12 février 1958, p. 245. [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXVII, « Dissolution, le malentendu », Ornicar ?, n° 23, Paris, Navarin, leçon du 10 juin 1980. [8] Huston N., op. cit., p. 12. [9] Dickens C., La petite Dorrit, 1855-1857, Paris, Gallimard, 1970. [10] Huston N., ibid., p. 12. [11] Huston N., interview dans Le temps des écrivains, Magazine Littéraire de France Culture, octobre 2014 : http://www.franceculture.fr/oeuvre-bad-girl-de-nancy-huston

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Une photographe révélée

Un film récent, À la recherche de Vivian Maier[1], mi-documentaire mi-enquête et reconstitution, s’il n’a rien de remarquable en tant que film, nous parle d’une histoire et d’un personnage qui, eux, le sont indubitablement.

Cette histoire est celle de Vivan Maier, née en 1926 à New York et morte à Chicago en 2009. C’est donc d’une histoire du XXe siècle dont il s’agit, ce siècle qui fut aussi celui de l’expansion d’un art nouveau : la photographie. Car V. Maier est photographe. Enfin, à la fois elle l’a été et elle le devient seulement aujourd’hui, après sa disparition, parce que nous découvrons ses images. Elle n’avait jamais montré les quelque cent cinquante mille clichés pris inlassablement tout au long de sa vie.

Née d’une mère française, originaire de la vallée du Champsaur ayant émigré aux États-Unis, et d’un père américain qu’elle n’aura que peu connu, V. Maier travailla toute sa vie aux États-Unis en tant que nanny, s’occupant d’enfants dans des familles de New York puis de Chicago. Très tôt, elle commença à faire des photos, dans la rue, se promenant inlassablement avec un Rolleiflex, puis un Leica, autour du cou, saisissant les lieux, les personnages et les situations rencontrés dans la rue, dans le fil de cette Street photography qu’illustrèrent si bien les Eugene Atget, Robert Franck, Lisette Model ou Lee Friedlander.

C’est lors d’une vente aux enchères en 2007, alors qu’il cherchait des photos sur un quartier de Chicago, qu’un dénommé Jonh Maloof acquiert un lot de négatifs. Il n’y trouve pas ce qu’il cherchait mais se rend vite compte qu’il y a là une œuvre remarquable. Il cherche, questionne, enquête pour apprendre d’où viennent ces photos, rachète d’autres lots au fil de ses découvertes et finit par identifier l’auteur de ces images : V. Maier. Alors que son nom se révèle enfin, V. Maier meurt à Chicago. John Maloof prend alors le parti de faire découvrir l’œuvre de cette photographe méconnue. L’aurait-elle souhaité, elle qui cultiva un goût du secret certain et dont l’existence ne laisse en rien penser qu’elle aurait souhaité la notoriété qui advient aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Solitaire, peu conventionnelle, brusque, ne cherchant pas à se rendre aimable, si toutes les familles dans lesquelles elle a vécu n’en gardent pas un bon souvenir, elle A marqué nombre d’entre elles par sa personnalité et son style hors norme. Ce sont trois enfants dont elle s’était occupée qui, devenus adultes, gardèrent le contact et subvinrent à sa survie jusqu’à sa mort. Les dernières années, quasi clochardisée bien qu’ayant encore un toit grâce à leur aide financière, elle continuait inlassablement à prendre des photos dont les négatifs s’empilaient sans qu’elle ait jamais pu en voir les tirages.

La vie de V. Maier a donc été inséparable de son rapport à l’acte photographique, sans cesse renouvelé, à chaque déclenchement de l’appareil, bien plus qu’à la photo comme image révélée à montrer à d’autres. Dans cette vie passée à appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo, de la grammaire réversible de la pulsion, voir/être vu, V. Maier semble n’avoir gardé que le premier terme et s’être faite elle-même regard. Montrer ses photos, ce serait en revanche être regardée, ce dont elle s’est bien plutôt le plus souvent protégée. Les tirages – quand ses moyens lui permettaient d’en faire – et les rouleaux de négatifs s’entassaient dans de nombreuses boîtes, accompagnés d’une quantité impressionnante de coupures de journaux et de prospectus divers, dont elle ne se séparait jamais au fil de ses déménagements. Elle choisissait de travailler dans des familles ayant à lui offrir des lieux de stockage suffisants pour ces bagages devenus fort volumineux au fil des années, jusqu’à la nécessité de louer des garde-meubles pour les y entreposer.

Mais le choix des sujets, les innovations de cadrage, l’attention à la composition n’en sont pas moins présents dans chacune de ses photographies, témoignant d’un regard aiguisé sur la vie américaine au quotidien.

Parmi les clichés[2], beaucoup d’auto-portraits jouant essentiellement de jeux d’ombres ou de reflets, de flous ou de démultiplication de l’image, entre miroirs, éclairs de soleil, contrastes. Par ce biais, elle se réintroduit dans l’image qu’elle compose et dont elle était au départ la spectatrice exclue. V. Maier, hors champ, se retrouve alors dans le champ. L’invention esthétique y est à l’œuvre, l’invention sinthomatique sans doute également, et crée presque à chaque fois une image fulgurante, qui nous regarde encore et témoigne d’une époque.

[1] Maloof J. et Siskel, À la recherche de Vivian Maier (Finding Vivian Maier), 2013. [2] Pour voir les photos de V. Maier : site web : http://www.vivianmaier.com/

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Éditorial

Comment avoir à nouveau envie d’entendre parler des mères, de la maternité, de ce thème qui nous a tenus des mois durant ?

Après les Journées de 2013 sur le trauma, dont la qualité impressionna, celles de 2014 confirment qu’une nouvelle série est en marche, et, comme put l’écrire Patricia Bosquin-Caroz dans son Billet du Conseil : « il faudra en tirer les conséquences pour l’École, pour la psychanalyse dans ce qu’elle a de plus vivant ».

La précision vive et aiguisée, l’urgence de bien-dire, émouvante, pétillante, qui marquèrent chaque intervention étaient, encore, au rendez-vous.

C’est lors de la Plénière du dimanche que P. Bosquin-Caroz donna le ton, d’emblée : c’est bien l’orientation lacanienne qui restitue à la maternité, aux mères, à leurs inventions, la dignité qui leur revient. Christiane Alberti, Directrice des Journées, souligna combien la force du témoignage singulier surmonte l’identification à la mère une, révolue désormais. C’est très exactement grâce à la place donnée à la parole de chacune et chacun que l’orientation lacanienne, encore, put démontrer la puissance civilisatrice de la pulsion. Car comment, en effet, entamer préjugés et discours établis sur la maternité, – laitages plus périmés tu meurs ! – taillés dans les bois les plus disjoints du réel de notre siècle ? Dans une rigueur extrême, mais sans oublier l’humour, (Woody Allen encore SVP !), l’émotion, la nuance (merci, merci encore Mariana Otéro ), une parole inédite, en train de se dire à pas moins de 3100 personnes, mordant sans ambages sur le réel. Dans une fougue, un tempo, un sérieux et un style qui causent notre joie fière d’appartenance à l’École. Cela, ça s’est dit, après les Journées, et beaucoup redit, dehors, aux alentours du Palais des Congrès.

Ainsi en fut-il de la Conversation sur le thème « Qu’est-ce que reproduire la vie ? », entre Jean-Claude Ameisen, Président du Comité Consultatif National d’Éthique, et François Ansermet, animée par Éric Laurent. J.-C. Ameisen commença par nous dire que ce qui nous a donné naissance est du registre des disjonctions, de l’émergence permanente de discontinuités, et de longues stases. Nous sommes faits de présences et d’absences, comme l’était, ajoutait-il apparemment lui aussi captivé par l’esprit vif de la matinée, la mère que Mariana Otéro évoquait en parlant de son film sur le secret. Où se tenir, entre le catastrophisme et l’enthousiasme béat ? L’enjeu, pour l’analyste, serait de veiller quant à lui à ne pas se laisser aller à une pente conservatrice, ajouta F. Ansermet en formalisant le duel sous cette forme : technoprophètes ou biocatastrophistes ? Être mère, à l’époque où l’on touche au réel en agissant sur la nature, force à inventer de nouvelles fictions. Nous sommes face à la production d’un réel innommable, put dire par la suite É. Laurent. Il y a un effort à faire pour lui donner un sens. Et c'est l'opération du langage qui nomme et fait apparaître les choix qui se font par l'opérateur de sélection du fantasme. Chaque sujet trouve sa défense contre le réel dans le malentendu, pour continuer à opérer la sélection par le logiciel fantasmatique. Cet effort de nomination, c’est par l’expérience analytique que nous le guettons. Les témoignages des AE Anaëlle Lebovits-Quenehen, Michèle Elbaz, Marie-Hélène Blancard, Danièle Lacadée-Labro et Anna Aromi nous ont été précieux, qui décoiffent et surprennent, désengluent l’Être mère, de son cocon doucereux. Ils introduisent l’opinion – et pas seulement l’opinion éclairée – tel était le souhait de C. Alberti en pensant à qui s’adressaient ces Journées, à un discours nouveau sur la maternité, en la dégageant de sa chape pathétique et bêtifiante. Car comment conjuguer maternité et féminité ? Point d’harmonie naturelle en ces zones, mais des heurts.

Et le théâtre ? Trois Mères de théâtre et un Fils !, merveilleusement incarnés par Marie-Armelle Deguy, Clémentine Verdier, Thibault Perrenoud, jouèrent pour nous des extraits présentés avec beaucoup de finesse par Brigitte Jaques-Wajeman, qui nous est si chère ! Vous en saisirez des échos dans les nombreuses météorites de cet HB.

Nous n’oublierons pas tant d’autres inventions, ponctuations, allusions… Tandis que les nuées de l’oubli s’accumulent derrière nous, nous restons, chacun et chacune, avec les restes que nous avons pu glaner.

Faisons-les fructifier pour 2015 et les années suivantes !

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Impression

Au lendemain des Journées de l’École de la Cause freudienne, un mot pour les qualifier, au singulier car elles ont fait événement. Ce mot est « rare ». On ne peut douter que de tels événements soient rares. Il y faut la conjonction d’une autorité qui n’est pas d’hier. Sa puissance s’est manifestée au grand jour, car elle a toujours été décidée à s’émanciper d’aucun pouvoir, sinon celui d’intimider l’adversaire, celui que l’on porte en soi et qu’une analyse a chance de situer et de réduire. C’est sans doute la condition, paradoxale car cette condition est l’inconditionnel tous azimuts, pour que le don entre dans la dimension de l’absolu, faisant interprétation pour chacun de sa capacité à recevoir. On ne s’en sortira pas ou plus par des expédients comme la gratitude, l’admiration brève, ou même toute manifestation de joie qui l’instant passé est déjà déplacée, suspecte. Il n’y a plus d’autre issue que d’y mettre du sien, toute la gomme et sans même savoir si le meilleur l’emportera. On aperçoit qu’à ce prix, une existence prend sa valeur, incommensurable.

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Mille e tre

Ah ! Bientôt fini le poupon rouge au regard noir penché sur les œufs de l’Araignée Maman de Louise Bourgeois. Énigmatique Araignée Maman, tisserande et dévorante.

Ah ! Bientôt fini le blog et tous ces dits, écrits, de toutes ces femmes, mères, fils, maris.

Être mère, quelle question !

Est-ce que j’en sais plus sur « Être mère » ?

Je suis comme elles, émerveillée, inquiète, parfois coupable puis confiante. Encore. Une expérience unique avec chaque enfant.

Avoir une mère. Être mère.

N’oublions pas « Fantasmes de maternité en psychanalyse ».

Allons-y !

Samedi au Palais, la foule. 3060 inscrits ! C’est la fête, des mères et des autres.

Terminés les joyeux et bruyants vagabondages d’une salle à l’autre, les mines défaites des exclus, les salles bondées. Le savoir-faire de nos organisateurs a résolu les problèmes. Merci à eux. Vous choisissez votre thème avant, pas les têtes d’affiche, pas les copains.

Salle 7, la matinée s’ouvre sur un cas clinique très actuel, commenté par Alfredo Zenoni : une femme ravagée par sa mère est enceinte et trouve un appui identificatoire en une amie elle-même enceinte, fille d’une mère aimante. C’est le cas Hélène Deutsch relaté par elle- même.

Je suis un fil. Il n’y a pas d’instinct maternel, l’enfant peut être et demeurer un bout de corps énigmatique. Esthela Solano pose la question « Qu’est-ce qu’un enfant pour une femme ? Il n’y a pas de réponse universelle, elle se déduit de la logique du plus singulier ».

Si l’enfant pour la psychanalyse est l’objet métaphorique de l’objet perdu, la femme dans l’accouchement et la présence de l’enfant, a affaire au réel. Là, dit E. Solano « est mise en jeu la contingence de la rencontre ». Comment une femme va-t-elle faire entrer l’enfant dans les circuits du don, de la demande et du désir ? Pour certaines, c’est impossible.

Maternité forclose, mère comme si, mère toute, mère en puissance, mère folle, mère absente, mère parfaite, mère en furie, mère morte, mère divisée, autant d’avatars de l’« être mère » des parlêtres féminins, autant d’impasses. L’analyste y met du sien, du corps aussi.

Dimanche. Deux formidables introductions de Patricia Bosquin-Caroz et Christiane Alberti sur les déclinaisons de la mère lacanienne. Á lire d’urgence dans les prochaines revues de l’École.

Témoignage des AE : vivacité, intelligence, drôlerie et émotion.

Bouts de film, témoignages de cinéastes : Ah ! Mariana Otero, Honoré et leur mère ! La journée est passionnante. Avec F.Ansermet nous abordons drôlement la science-fiction. On rit jaune. Si la transmission de la vie, c’est la production du nouveau, les nouvelles technologies ne vont-elles pas vers la reproduction du même?

Mères de théâtre cruelles et violentes, toujours coupables.

De formidables Journées ! Merci aux organisateurs attentifs.

Ce que je sais ce soir c’est qu’il y a autant d’« être mère » que de parlêtres mères. Mille e tre et un peu plus.

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3001 rencontres

1001 mères, 3001 rencontres. Voici ce qui m’est venu à la fin de ces 44es Journées de l’École de la Cause freudienne. Je fais le pari que chacun des 3000 et quelques participants a fait au moins une rencontre avec l’un ou l’autre dire qu’il a entendu pendant ces deux jours. Cela m’a frappé plus que jamais, les gens étaient dans les salles plus que dans les couloirs, du début jusqu’à la fin.

Il faut dire que le thème, même s’il a pu paraître au départ une antienne de la psychanalyse, a été exploré de telle sorte par Christiane Alberti et ceux avec qui elle a conçu ces Journées qu’il en est devenu absolument moderne, de plain pied dans le XXIe siècle. Les mères dont on nous a parlé, une par une, sont résolument lacaniennes, autant femmes que mères.

Il y a tellement de choses à dire, mais je dois bien faire quelques choix. Les travaux mis en série dans les salles simultanées avaient été choisis avec soin et pertinence. Un fil, celui du « trou », a pu se tisser par exemple lors d’une simultanée qui concernait le corps sollicité par la maternité. Le « trou dans le corps » s’est ainsi décliné dans les différents textes : qu’il s’agisse du trou réel dans lequel tombe le sujet après avoir recouru à l’IVG, du trou habité par le fantasme au point qu’il devienne une boule pleine qui fait peur, indice d’une jouissance Autre, ou encore du trou vide du pois de Yayoi Kusama, artiste japonaise qui tente d’inscrire la barre subjective par sa pratique artistique opérant un effacement, une « oblitération de soi ». Le gain de savoir était au rendez-vous.

Quand il m’a été demandé d’écrire ces quelques lignes, tout de suite après les Journées, j’ai décidé de prendre des notes. Et je l’ai fait pendant tout un temps le samedi, et aussi une partie du dimanche. Par contre, la plume m’est tombée des mains quand Christophe Honoré a commencé à parler de ses films, des mères de ses films, finement mises en série par Marie-Hélène Brousse et Christiane Alberti : la mère absente à son enfant, la mère selon Bataille, la désinvolte, celle qui s’adresse à la science pour avoir l’enfant impossible, et enfin le lien en même temps si dur et si délicat entre une mère et sa fille. Quelle sensibilité ! Christophe Honoré nous a offert sa division avec une humilité et une authenticité remarquables !

Pour terminer, j’ai trouvé superbe cette phrase conclusive de Mariana Otero : « Je voulais montrer ma mère, et ma mère, c’est une absence. » Sa mère à elle, c’est cette absence. Un bien dire…

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Secret, secrets

Secrets de famille, blancs dans le texte d’un roman familial qui se voudrait parfaitement articulé, interdictions, censure, non dits, blancs, le secret prend des significations diverses pour le sujet, comme cela a été souligné durant la plénière de dimanche. C’est dans ces blancs exactement que l’inconscient vient se loger.

Comment un sujet traite-t-il ce blanc ? Michèle Elbaz, AE, dans son exposé formidable et si drôle, le cerne dans le premier mot d’esprit de sa fille de trois ans quand celle-ci lui parle d’un secret, prononcé « sècreu », sans rien lui dire de plus. « C’est creux » écoute la mère en analyse et elle repère le creux de signification dans l’au-delà du phallus qui relève de la jouissance féminine.

Dans la séquence suivante, Mariana Otero, dans son témoignage si touchant du secret autour de la mort de sa mère, nous parle d’une scène formidable du documentaire qu’elle a fait sur sa mère. Il s’agit d’une pièce de l’appartement où ils habitaient jadis, une pièce vide avec des draps blancs partout. L’artiste pose quelques objets de sa mère également artiste, des objets « pour créer des traces dans le blanc » nous dit-elle, « ma mère est une absence » conclut-elle. Quelle meilleure façon de dire le creux dans le secret ?

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