Marc Pautrel, vous avez dit Marc Pautrel ?[2] Philippe Bouret, membre de l’ECF et de l’ACF Massif-Central, a fait connaître cet écrivain aux lecteurs attentifs de Lacan Quotidien par un long entretien avec lui[3] et un article sur ses « petits récits »[4].
Connaître le fil du tout dernier roman de l’auteur, Ozu[5], permet de saisir, peut-être, en quoi Orpheline vient clore une série. Mais n’en disons pas plus sur ce point, c’est d’Orpheline dont il va être exclusivement question ici.
Pautrel pourrait être qualifié d’« écrivain-voyageur » car non seulement il voyage, met ses personnages romanesques en mouvement, en voyage, mais il peint le cadre, le paysage. Son écriture est très visuelle. On voit ce paysage, ce cadre. Un de ses romans s’intitule Un voyage humain[6].
Ses personnages, souvent, ne sont pas nommés, ne sont pas définis autrement que par un signifiant. Ainsi en va-t-il par exemple de l’Orpheline, tout juste campée autrement comme « Espagnole ténébreuse » ou « ténébreuse andalouse ».
Il est toujours question dans les romans de M. Pautrel d’un couple, d’une relation amoureuse. Dans un seul[7], on peut penser qu’il s’agit aussi d’une relation d’amour et d’admiration filiale, et autobiographique.
Et ces histoires d’amour se terminent toujours mal, par une séparation, une disparition.
La plupart des personnages des romans de l’auteur sont fragiles.
L’Orpheline a perdu sa mère réellement et son père presque tout autant. Ce qui la ravage, c’est la mort de sa mère et la culpabilité qui lui est liée. Elle n’est pas sans avoir bricolé sa vie pour tenter de la vivre, malgré tout – entre autres, elle voyage et séjourne, plus ou moins longtemps, à l’étranger. Ce ravage, elle le rejoue à chaque rencontre amoureuse avec un homme, c’est le début du livre.
Mais cette nouvelle rencontre, elle décide d’en faire autre chose qu’une Xe répétition du même. Elle sort du silence dans lequel, à la fois, elle était emmurée et sur lequel elle tenait debout, elle fait un pas vers l’autre, elle se met à pleurer et à parler en même temps, à dire, mi-dire sans doute, et cela permet que la relation s’engage mieux que les précédentes malgré un départ qui s’annonçait ruineux.
Orpheline est construit à rebours de Polaire[8]. Ce roman-là commençait par une scène, un récit : on soufflait quand on découvrait que ce n’était qu’un rêve, un cauchemar. Dans Orpheline, la relation que cette femme établit avec cet homme-ci la conduit à un rêve de retrouvailles avec sa mère perdue, dont elle fait le récit à son compagnon. Un rêve de transfert, ou quasi. Fin du livre, coupure. Un franchissement pour l’héroïne ?
[1] Pautrel M., Orpheline, Paris, Gallimard, L’infini, 2014.
[2] Allusion à la célèbre réplique « Vous avez dit bizarre, bizarre… », prononcée par Louis Jouvet dans le film Drôle de drame, de Marcel Carné.
[3] Philippe Bouret s’entretient avec Marc Pautrel, « Écrire juste », Lacan Quotidien, nos 339 & 341.
[4] Bouret P., « L’homme qui écrivait la main soudée au corps », Lacan Quotidien, n° 384.
[5] Pautrel M., Ozu, Mugron, Louise Bottu, 2015.
[6] Pautrel M., Un voyage humain, Paris, Gallimard, L’infini, 2011.
[7] Pautrel M., L’homme pacifique, Paris, Gallimard, L’infini, 2009.
[8] Pautrel M., Polaire, Paris, Gallimard, L’infini, 2014.
Illustration DR Catherine Helie-Gallimard