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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 232

Le maniement de l’objet a dans le transfert

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Après les travaux de Freud sur l’angoisse, a été répandue une distinction entre angoisse et peur, faisant de l’angoisse, contrairement à la peur, un sentiment sans objet. Dans l’introduction de sa leçon du 30 janvier 1963 du Séminaire L’Angoisse, intitulée « D’un manque irréductible au signifiant », Lacan réfute cette conception, il soutient que l’angoisse est un affect qui n’est pas sans objet et qui révèle la fonction du manque. Il fait ainsi retour à Freud, qui s’interrogeait sur la perte d’objet dans l’angoisse.

Quelle est la fonction du manque ? Comment l’objet y est-il articulé ? Dans cette dixième leçon, Lacan étudie ces questions et apporte un éclairage fondamental à l’égard de la relation transférentielle. Il convient d’opérer avec le maniement du manque dans la relation transférentielle lorsqu’elle est en rapport avec « la pièce manquante ». Lacan donne cette indication pour approcher a en tant qu’objet cause du manque : « Le manque est radical, radical à la constitution même de la subjectivité telle qu’elle nous apparaît par la voie de l’expérience analytique. [D]ès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir, il y a quelque chose de perdu, et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau de corps » [1]. Dans le Séminaire L’Angoisse, Lacan reprend son étude du stade du miroir et montre que l’objet a est un résidu qui n’entre pas dans le registre spéculaire, il est ce qui cause le manque.

L’angoisse signale ce a et son mode d’apparition dans le rapport à l’Autre. En analyse, le maniement du transfert implique la prise en compte de la position du sujet par rapport à a. L’analyste prend à son compte le a, « comme un corps étranger », dans les cas de psychoses. En revanche, pour les cas de névrose, côté i’(a), celui de l’image, Lacan indique que « le a n’est pas spécularisable, et ne saurait ici apparaître, si je puis dire, en personne. C’est seulement un substitut. C’est là seulement d’où se motive la mise en cause profonde de toute authenticité dans l’analyse classique du transfert » [2].

Lacan souligne qu’il y a différentes structures du manque. Il se penche plus particulièrement sur le phénomène de deuil et sur sa fonction. Pour Freud, le deuil est lié à la perte d’objet dans la réalité et le sujet doit accomplir un travail de séparation d’avec cet objet [3]. Lacan, ayant précisé la notion d’objet et ne situant pas le manque du côté de la perte de l’autre, avance une toute autre thèse : « Nous ne sommes en deuil que de quelqu’un dont nous pouvons dire J’étais son manque. Nous sommes en deuil de personnes que nous avons ou bien ou mal traitées, et vis-à-vis de qui nous ne savions pas que nous remplissions la fonction d’être à la place de leur manque. » [4]

Lacan démontre son propos avec un cas de la littérature analytique. Celui de la jeune femme kleptomane présenté par l’analyste Margareth Little [5]. Lacan rappelle qu’il avait déjà remarqué « un certain discours angoissé » chez la psychanalyste.

Le cas de kleptomanie déployé dans l’article de M. Little a la particularité d’être dans cette zone où domine ce que Lacan a défini comme acting out. Au chapitre IX « Passage à l’acte et acting out », Lacan a montré que l’acting out s’adresse à l’Autre. Dans le transfert, c’est l’objet a qui cherche « à venir sur la scène ».

Dans la cure, M. Little interprète le transfert selon les pratiques classiques, l’analyse n’avance pas, la jeune femme ne parle pas de ses vols. Le moment de bascule se produit par une contingence, celle d’un décès qui pousse la jeune femme dans un deuil insurmontable. L’analyste en reste à des interprétations freudiennes autour de l’identification à l’objet ; mais rien ne bouge. C’est quand M. Little livre ses sentiments à la jeune femme, à savoir qu’elle est perdue et qu’elle éprouve de la peine pour elle, que l’analysante commence à aller mieux. M. Little y voit les effets de l’usage de ce qu’elle qualifie de « contre-transfert ». Pour Lacan, c’est autre chose qui opère : « Nous sommes là sur la limite de quelque chose qui désigne dans l’analyse la place du manque. Cette insertion, cette greffe, ce marcottage, ouvre une dimension qui permet à ce sujet féminin de se saisir comme un manque, alors qu’il ne le pouvait absolument pas dans toute la relation avec les parents. [6] » L’angoisse, chez l’analyste, surgit quand la place du manque apparaît du fait que la jeune fille l’envahit. C’est, pour l’analysante, la place du manque dans l’Autre qui apparaît avec l’angoisse, s’ouvre alors une dimension dans laquelle elle peut, en tant que sujet, se saisir comme petit a manquant.

Lacan souligne également la fonction de la coupure. Autrement dit, si le symbolique permet de saisir le manque, en en désignant la place, en le comblant, c’est la fonction de la coupure en analyse qui permet d’approcher ce qui reste irréductible au symbolique.

 

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 158.

[2] Ibid., p. 164.

[3] Cf. Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2014, p. 229.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 166.

[5] Cf. Little M., « “R”. The analyst’s total response to his patient’s needs », International Journal of Psychoanalysis, vol 38, mai-août 1957, p. 240-254, trad. « “R” : la réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient », in Heimann P. & al., Le Contre-transfert, Paris, Navarin, 1987, p. 48-76.

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 169.

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