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Événements, L'Hebdo-Blog 47

« Mais qu’est-ce donc qui les pousse à traverser les océans ? »

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Aujourd’hui, si la mer a perdu ses secrets, si l’on peut anticiper ses humeurs, le navigateur est devenu compétiteur, rivé à l’exploit, à la performance, son point de visée est de boucler la boucle. Ce navigateur est, entre autre, un corps complété de la série des objets techniques les plus précis et les plus sophistiqués apportant performances et dépassements. « Mais qu’est-ce donc qui vous pousse à traverser les océans ? » fut la question posée à Isabelle Autissier et Fabrice Amadéo[1] lors de la rencontre qu’organisait l’ACF-Aquitania à La Rochelle le 10 octobre.

La navigation, pour Fabrice Amédéo, apparaît comme « une certaine forme de douleur, le froid, le manque de sommeil […] une jouissance physique, une drogue dure, une espèce d’adrénaline qui donne envie d’y retourner […]. Ce sont aussi les moments d’émotion, de plénitude […] seul sur un bateau, je suis un animal solitaire qui doit se dépasser, prendre des risques ». Il évoque le sentiment océanique : « sur l’eau, il m’arrive d’avoir des moments de contemplation, de ressentir une présence physique ».

Isabelle Autissier nous indique : « ma vie entière a été structurée autour de la mer […] la navigation, c’est ce qui est le pivot, la toile de fond de mon existence, c’est ma méthode à moi d’exister dans la communauté des humains […] c’est là qu’il faut que je sois […]. Le bateau est un prolongement de moi… la mer, elle me comble, elle me donne l’occasion d’aller partout où ma curiosité m’emmène ».

Évoquant le corps (le corps parlant était à l’origine de notre conversation) elle avance qu’« il s’agit d’abord de sensations où l’on éprouve le mouvement du bateau sur l’eau, l’odeur de la mer […]. Cela parlait à tous mes sens […] aussi bien au corps qu’à mon esprit ; la douleur… jamais, c’est pour me faire plaisir ! »

Et la solitude? Ce n’est pas tant de solitude dont il s’agit mais d’éloignement : « ce n’est pas tant être seul qu’être loin. Il y a le moment où l’on a l’impression de rentrer dans la solitude […] cet isolement, il est intéressant parce qu’il est choisi, il nous permet de nous exprimer complètement […] je n’ai jamais été aussi près des autres que quand j’en suis loin, on ne fait plus de blabla, on dit l’essentiel […] j’ai pas mal appris sur mes relations aux autres en étant sur un bateau […]. Les filles supportent assez bien la solitude ».

Et, bien sûr, il y a ses partenaires :

Ses bateaux : Ada dont elle parle dans Salut au Grand Sud[2] d’une façon inattendue. « C’est une fille ! Il n’y a pas à s’y tromper. Une allure élancée, des flancs généreux sous une robe grise qui manque, c’est vrai, un peu de coquetterie ; et surtout cette inimitable façon de poser la hanche sur l’eau, avec douceur mais fermeté. Ada est bateau-fille[3] ».

Ses copains : elle nous explique « quand je suis toute seule, je m’invente des copains, le vent, les nuages, l’eau ».

La mer : « C’est du dur, on ne discute pas, on ne compose pas, Il n’y a pas de blabla avec la mer : c’est ça que j’aime bien », précise Isabelle Autissier. C’est là, semble-t-il, sa façon à elle de parler du réel : pas de négociation possible.

La contingence, toujours là tapie dans l’ombre, l’évènement imprévu toujours susceptible de survenir à tout instant, quel que soit le soin qu’on a mis à tout préparer : « un bon marin c’est quelqu’un qui se prépare à l’imprévu […] cela fait partie des plaisirs de la navigation, il y a des surprises, la part de l’imprévu […] ce que j’adore, quand je pars, c’est que je ne sais pas ce qui va se passer deux heures après […]. Cet ailleurs où le temps n’est pas le même, cela me renouvelle ». Dans Salut au grand sud, elle écrit : « notre avenir peut basculer ici et maintenant à tout instant »[4]. Partenaire possible de la contingence : la mort. Il ne s’agit pas pour les navigateurs de tutoyer la limite comme c’est le cas pour beaucoup d’alpinistes : « une bonne navigation est une navigation sans peur. Mais quand la tempête est là, il faut bien l’affronter. C’est solide un bateau. »[5]

[1] Fabrice Amédéo, navigateur, journaliste sportif retenu par les préparatifs de la prochaine transat Jacques Vabre, avait fait parvenir une vidéo. Ses propos sont repris de cette vidéo. Ceux d’Isabelle Autissier, sans références, sont extraits de la conversation que nous avons eue avec elle lors de la rencontre.

[2] Autissier I., Orsenna E., Salut au Grand Sud, Paris, Stock, 2007.

[3] Ibid., p. 39.

[4] Ibid., p. 119.

[5] Ibid., p. 260.

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