« Qu’est-ce qu’être lacanien aujourd’hui ? » Telle était la question posée le 19 mai dernier lors d’une soirée débat de l’ACF ouverte à tous, accueillie par le bureau d’Angers1. Cette rencontre s’inscrivait dans une série qui avait commencé par un première interrogation : « Qu’est-ce qu’une École pour la psychanalyse ? » suivie d’une deuxième : « Comment se forment les analystes ? »
Être lacanien aujourd’hui ? L’interpellation pouvait paraître intimidante, prompte à marquer le pas comme l’a noté Pierre Streliski en introduction de son intervention. N’appelait-elle pas, en effet, à l’identification, direction parfaitement opposée à l’expérience analytique ? La soirée a démontré qu’il n’en fut rien.
Elle fut précédée d’une enquête qui a fait tache d’huile dans la vaste section de l’ACF Val-de-Loire Bretagne. Et au-delà : Gérard Wajcman, répondant à cette question, en référence à Lacan, l’interpréta ainsi : « S’il y a un enjeu pour le psychanalyste, c’est d’être à la hauteur du temps qu’il vit. » Le lecteur trouvera un florilège de cette enquête où les réponses à la question posée aux uns et autres sont plus proches d’une étrange affaire comme celle de l’Angelica de M. de Oliviera que d’un Whodunit.
Cette enquête, de plus d’un mois, ne fut donc pas sans trouvailles et donna à la soirée son orientation. Plusieurs membres de l’ECF et de l’ACF ont ainsi témoigné que l’analyste, avant tout analysant, pratiquait ; qu’être lacanien c’était savoir lire la chose opaque qui nous anime ; qu’être lacanien c’était aussi être tourmenté par ce qui résultait de l’intersection entre le registre du langage (symbolique) et celui du vivant (réel). Logiquement, il fut beaucoup question du symptôme, enveloppe formelle de ce tracas sur lequel revient Guilaine Guilaumé, de nouage, mais aussi de style, de mode de jouir et du qu’on dise, jamais oublié. Bref, étaient évoqués, lors de cette soirée, les bascules du moment où le symptôme rebrousse en effets de création, comme le dit Monique Amirault, où « la passion du nouveau prend le pas sur l’espoir ». Mais il y eut aussi l’évocation de ce que j’appellerai l’incidence de la cause2 ; vous en trouverez la trace dans les autres textes portés à votre attention. Il s’agit du moment où une cause, pas encore freudienne, se dessine pourtant dans son opacité ; où l’interpellation des éclats du réel vous somme de choisir, vous presse de vouloir savoir, sans vous en remettre à l’Autre du savoir et de la vérité – toujours religieux en son fond –, préservant la supposition de ce savoir et de cette vérité, position propice à l’expérience analytique comme le démontrent les contributions d’Emmanuel Chenesseau et de Jérémie Retiere.
On pourrait dire que l’enquête, comme la soirée, ont permis de mettre en lumière les façons de faire avec cet intime qui nous reste fermé. À ce titre, les témoignages que vous trouverez dans ce numéro de l’Hebdo-Blog ne sont pas un « échantillon » mais sont « incomparables »3, et témoignent de ce que J.-A. Miller indique : « Tant que de cet extime (le mot est de Lacan, avant Michel Tournier) on n’aura pas perdu le sens avec le sentiment, la psychanalyse ne rendra pas les armes. »4
1 Soirée, comme les précédentes, organisée par Guilaine Guilaumé, Monique Amirault et Eric Zuliani.
2 C ’est la formule qui me vient après un échange très éclairant avec C. Alberti.
3 J.-A. Miller, « L’apologie de Lacan », Le Point on line du 9 mai 2016.
4 Ibid.