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Orientation, L'Hebdo-Blog 75

L’art de l’inimitable

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Un soir, mon téléphone sonne. Une voix féminine se présente. Elle est une « professionnelle de la santé », et aimerait avoir des « correspondants psy » sur la ville pour leur adresser les patients qu’elle reçoit dans une pratique centrée sur le bien-être du corps. Elle sait ce qu’est une bonne santé et ce qu’il faut pour ses patients. Elle souhaite donc savoir comment je travaille et termine en précisant : bien entendu, je peux leur dire que vous êtes freudienne, surtout pas lacanienne n’est-ce-pas, les lacaniens ne parlent pas !

J’ai répondu … par un silence, puis nous sommes passées aux salutations d’usage.

La psychanalyse lacanienne a besoin, pour rester vivante, que l’on s’intéresse à elle autrement que par des clichés datés, des caricatures ou des présupposés stériles.

Le régime de l’inconsistance

J-A Miller, dans un cours de 2002, intitulé « Réflexions sur le moment présent », fait la proposition suivante : « Il se pourrait que la psychanalyse au XXIème siècle doive vivre sous le régime de l’inconsistance ». Ne nous méprenons pas : ceci ne veut pas dire que la psychanalyse soit inconsistante, cela concerne le régime sous lequel la psychanalyse doit s’inscrire au XXIème siècle. L’inconsistance, c’est l’impossibilité de dire « pour tout x », l’impossibilité de dire par exemple « tous les analystes lacaniens ». Pour représenter cela, J.-A. Miller dessine un cercle en pointillés, un cercle non fermé qui désigne qu’on ne peut pas universaliser, qu’on ne peut pas faire un tout.

Quand nous disons le « pas-tout », ce n’est pas qu’il y a une classe dont on soustrait quelque chose comme ne faisant pas partie de cette classe. Cela, c’est l’incomplétude. Le pas-tout, « c’est pour dire qu’on ne peut pas former les éléments dont il s’agit en classe ». Le XXème siècle fut un siècle de classifications et donc d’exclusions car quand on classe, on exclut. L’incomplétude, c’est le standard moins ce qui est exclu.

Lacan, en lecteur exigeant de Freud tout au long de son enseignement, a fait évoluer la doctrine jusqu’à se coltiner le mystère qu’est l’union de la langue et du corps ainsi que la question de la jouissance qui se loge dans le corps et ne se laisse pas réduire dans la langue. Son École, la nôtre aujourd’hui, celle qu’il a créée juste avant sa mort, est l’École où se travaillent les formes dominantes de discours de nos sociétés que le Discours analytique, en se renouvelant sans cesse, ne cesse d’interpréter.

L’inconsistance, donc, c’est : pas de standard, pas de classe, mais du un par un, qui se vérifie, à l’École de la Cause freudienne, par la procédure de la passe. À l’ECF, chaque analyste admis comme membre ou nommé comme Analyste de l’Ecole l’est au regard, non pas d’une appartenance à une classe, mais d’une différence absolue, d’un incomparable, d’un désassortiment radical, conséquence de la part incurable du symptôme. Nous sommes des un par un avec un objet commun à notre charge : faire vivre la psychanalyse d’orientation lacanienne.

De quelle façon au XXIème siècle ?

Par la croyance radicale au symptôme

Au XXIème siècle, nous ne nous réglons plus seulement sur une clinique binaire selon laquelle soit il y a le Nom-du-Père (la fonction symbolique) soit il n’y a pas le Nom-du-Père. Nous sommes à l’époque de la pluralisation des noms-du-père et dans la voie indiquée par Lacan et poursuivie par J.-A. Miller, être lacanien aujourd’hui, c’est croire au symptôme et à l’inclassable. Le symptôme, c’est la singularité du sujet au sens où cette singularité ne se déduit d’aucune classe de référence.

Gil Caroz, vice-président de l’ECF proposait récemment l’aphorisme suivant : « Diagnostiquer, un effort de poésie ». L’effort de poésie, c’est nommer les modes de jouissance singuliers de chaque un qui vient nous rencontrer. Cela, nous le pratiquons dans les Présentations de malades où il ne s’agit pas tant d’établir un diagnostic psychiatrique que de saisir le mode de jouissance du sujet qui nous parle, mode de jouissance dont le symptôme est saturé et qui est un réel irréductible.

C’est aussi ce que le contrôle de ma pratique m’enseigne. Il m’est ainsi arrivé de rencontrer une bonniche, un passager clandestin, une mal rempotée, un retranché, un enfant de chœur, une mégère ou encore une Shéhérazade pour n’en citer que quelques-uns. À chaque fois, la croyance radicale au symptôme permet de nommer ce à quoi le sujet est appelé. Il s’agit, dans tous les cas, de soutenir ce sujet dans sa recherche d’aménagements, de solutions uniques pour se tenir dans la vie sans se faire « trop de mal ».

Pour conclure

« Faites comme moi, ne m’imitez pas » disait Lacan. La psychanalyse ne se transmet qu’à ce que chacun, après Freud et Lacan, la réinvente, pas sans principe et pas tout seul.

Et c’est la charge de chaque psychanalyste que de se tenir à la hauteur de cet inimitable ainsi que de se faire responsable de l’antinomie entre la pulsion et le symbolique. Là est son tourment.

J’essaie, pour ma part, de m’y tenir en étant freudienne avec Lacan et lacanienne avec Jacques-Alain Miller car il faut des éclaireurs, des au-moins Un, des qui s’exceptent d’une série qui n’existe pas.

Ce texte a été prononcé dans le cadre de la soirée ACF-VLB qui s’est tenue à Angers le 19 mai 2016 sous le titre « Qu’est-ce qu’être lacanien aujourd’hui ? »

 

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