
L’enfant, ses parents
Lorsque Freud rencontre le Petit Hans, il s’interroge sur le fait de savoir s’il est possible de prévenir les difficultés de l’enfant par des mesures éducatives, en leur donnant par exemple des éclaircissements, afin de satisfaire leur curiosité sexuelle. Cependant, dans ses derniers travaux, au moment où il aborde les questions cruciales de la fin de l’analyse, Freud se rend compte qu’il avait surestimé les effets de l’éducation, et il ne cherche plus ce qui permettrait de prévenir le symptôme. Il fait alors valoir la fonction du symptôme comme défense face au sexuel traumatique et comme issue face à l’angoisse. Freud n’hésite pas à désigner le caractère salutaire du symptôme, en tant qu’il alerte les parents sur les inévitables difficultés de l’enfant, qui « doit surmonter les composantes instinctuelles […] de sa nature » [1].
Les parents se sont trouvés au cœur des débats entre les premiers psychanalystes. Pour Anna Freud, le mieux serait d’éloigner les enfants de leurs parents pendant la conduite de la cure, car les parents, dans la réalité, feraient obstacle à la névrose de transfert, indispensable à l’opération de l’analyste. Mélanie Klein répond avec détermination aux atermoiements de ses collègues, n’hésitant pas à engager l’enfant dans le travail analytique qui s’instaure dès les premières séances, l’angoisse poussant l’enfant à la tâche analysante. Et aujourd’hui, où en sommes-nous ?
La « Note sur l’enfant » [2] nous sert ici de boussole. Dans ce texte, Lacan y distingue deux grands types de symptômes : ceux qui relèvent du couple familial et ceux qui sont pris dans la relation duelle à la mère. Dans le premier cas, le symptôme de l’enfant est en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale. Le symptôme de l’enfant est alors articulé à la métaphore paternelle, pris dans des substitutions et plus ouvert à une dialectique, de façon telle que l’analyste peut ainsi en introduire de nouvelles. Dans le second cas, où le symptôme « ressortit à la subjectivité de la mère […], c’est directement comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé » [3]. Cette distinction oriente nos interventions. Lorsque nous recevons un enfant, nous recueillons les signifiants avec lesquels il se présente et qui comptent pour lui. Nous sommes attentifs aux marques du désir et aux idéaux que les parents portent et font passer ; dans le cas où l’enfant est en place d’objet, nous veillons à « desserrer l’étau » [4] entre parent et enfant.
Dans son texte d’orientation de la 3e journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, Jacques-Alain Miller fait valoir, qu’avec l’enfant, l’analyste est « obligé de prendre des initiatives » [5]. « Interpréter les parents » [6] est une de ces initiatives : nous voilà invités à ouvrir et explorer la question de notre travail avec les parents.
Dans certains cas, les parents ont déjà interprété ce qui arrive à leur enfant en s’appuyant notamment sur des discours prêt-à-porter, espérant faire entrer l’enfant dans la norme d’un formatage. Le risque est alors d’assigner l’enfant à un comportement lui barrant l’accès à son énonciation. Faire entendre l’enfant, qui, par son cri, un regard, un dessin, un dire, vient trouer la langue de la rectification, permet de produire une discontinuité dans ce qui se présente de façon figée et ouvre un nouvel espace qui fait place au sujet. Nous pouvons faire raisonner la langue du symptôme et nous faire passeur de l’enfant auprès des parents, afin qu’ils acceptent de ne pas avoir des réponses en termes d’adaptation, dès lors qu’ils auront consenti à accueillir les effets de surprise.
J.-A. Miller ne réduit pas l’interprétation au déchiffrement, il propose également de considérer comme interprétation tout ce qui a valeur de message, avec une portée de transformation. Si nous rapprochons cette proposition de celle qu’il fait valoir en ce qui concerne l’enfant – lorsqu’il indique qu’interpréter l’enfant, c’est extraire le sujet –, nous pouvons déduire qu’une des visées des initiatives prises avec les parents serait qu’ils ne fassent pas obstacle à ce que s’ouvre le champ de l’énonciation pour leur enfant.
Donnons toute sa portée à ce que Lacan fait valoir à propos de l’enfant : « Chez l’enfant, quelque chose n’est pas encore achevé, […] ne s’est pas encore distingué dans la structure » [7], et il précise : « il faut qu’un pas soit franchi pour que soit faite la distinction du Je […] de l’énoncé et du Je […] de l’énonciation, car c’est cela qu’il s’agit » [8].
Ainsi, les initiatives de l’analyste avec les parents permettront qu’un pas soit franchi !
[1] Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1972, p. 195.
[2] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373-374.
[3] Ibid., p. 373.
[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 28 mars 2001, inédit.
[5] Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », in Roy D. (s/dir.), Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 18.
[6] Ibid., p. 22.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien éd., 2013, p. 101.
[8] Ibid., p. 92.
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