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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 234

Je ne sais pas pourquoi

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L’offre d’un espace de parole faite par le psychanalyste à l’enfant suscite une extraordinaire variété de demandes. Il arrive que l’enfant ne saisisse pas ce qui motive ses parents à le conduire chez l’analyste. Il montre alors d’emblée son incompréhension, voire son indignation : « Je ne sais pas pourquoi je suis là ! » À moins qu’il ne reste silencieux et se cantonne à un « je sais pas » ou un « j’ai rien à dire » en réponse aux questions de l’analyste visant à initier un lien de parole. Ou, au contraire, qu’il noie cette rencontre dans un bavardage masquant ce qui du réel le déborde.

Cependant, ce « je ne sais pas pourquoi je suis là » peut s’entendre comme une question qu’il pose à son insu : qu’est-ce que je fais dans cette famille ? Dans cette école ? Dans cette vie ? Ou encore, quel intérêt y a-t-il à parler ? Ce qui ressemble d’abord à un refus de l’enfant peut devenir, dans la rencontre avec l’analyste, le fondement de la direction de la cure, à la seule condition d’un changement de discours, au sens des quatre discours distingués par Lacan : il suffit de basculer du discours du maître au discours de l’analyste. Lorsque des parents se plaignent du comportement de leur enfant, de l’impossibilité de lui faire entendre raison, du rapport de forces qui en résulte, il s’agit de subvertir cette recherche de maîtrise, qui aboutit à une impasse, en leur faisant entendre, dès les premiers entretiens, leur inquiétude, entre angoisse et culpabilité, et en faisant résonner ce qui est véritablement en jeu pour l’enfant : sa souffrance à partir de laquelle il va découvrir ce qui fait symptôme pour lui. C’est alors seulement que la parole de l’enfant peut prendre du poids dans le nouage d’une relation transférentielle où il est en place de sujet qui « laisse spontanément jaillir ce qui constitue sa vérité intime et qu’il était jusqu’alors seul à savoir » [1]. Le lien de l’analyste avec ses parents permet de s’assurer que sont respectés le temps et l’espace nécessaires au processus de subjectivation.

Mais l’enfant peut vouloir rester coincé dans le discours du maître en se considérant comme victime. Lui laisser le temps de développer sa plainte au fil des séances l’amène à découvrir en quoi il participe à cette situation en nourrissant lui-même un scénario qui renforce sa position de victime. Dans le discours analytique, la plainte aboutit à une mise en forme du symptôme qui pousse l’enfant à s’avancer avec ses propres signifiants dans un processus d’association libre qui le libère des entraves de l’inhibition et de l’angoisse. Surgissent alors les formations de l’inconscient : les cauchemars dont le déchiffrage lui permet de passer de la faute imputée à l’Autre à sa responsabilité de sujet ; les rêves qui le mettent sur la voie du « manque central où le sujet s’expérimente comme désir » [2]. Ce qui fait répétition dans son existence, ce qui est vécu comme un « c’est plus fort que moi » du symptôme, est épinglé pour en découvrir les racines. Il en résulte pour l’enfant des effets thérapeutiques, des effets de vérité, des effets de savoir.

À l’autre extrême de la diversité des demandes adressées à l’analyste, il y a l’enfant qui éprouve la nécessité de recourir à la psychanalyse dans un sentiment d’urgence subjective : « Je me sens trop mal ! » Le nouage du transfert favorise l’expression signifiante de ce malaise, à moins que cette détresse ne puisse pas être mise en mots directement parce qu’elle est la résultante d’une volonté de jouissance qui a étendu son empire sur le sujet, laissé en souffrance. Comment lui permettre de passer d’une position de jouissance à un désir de dire ? Il n’y a pas d’autre issue, avec l’appui de la relation transférentielle, que celle « de faire de la jouissance une fonction et de lui donner sa structure logique » [3], ainsi que le formalise Jacques-Alain Miller à partir du Séminaire de Lacan D’un Autre à l’autre, et cela en cherchant avec l’enfant les événements, les traumatismes et les marques de jouissance qui ont laissé des traces à déchiffrer, « des traces effacées, des traces transformées […], qui se conservent à l’insu du sujet » [4], soit ce qui de l’inconscient est « non-né », quelque chose « de l’ordre du non-réalisé » [5]. Un savoir jusque-là insu surgit, donnant raison au « je ne sais pas pourquoi » avec lequel l’enfant s’était d’abord présenté.

 

[1] Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1979, p. 166.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 239.

[3] Miller J.-A., « Une lecture du Séminaire D’un Autre à l’autre », La Cause freudienne, n°65, mars 2007, p. 105.

[4] Miller J.-A., « Une lecture du Séminaire D’un Autre à l’autre », La Cause freudienne, n°66, juin 2007, p. 64.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts…, op. cit., p. 25.

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