Dans un entretien en 1974, Lacan signalait de manière prophétique : « Proposer aux gens de les aider signifie un succès assuré, et la clientèle se bousculant à la porte. » Il ajoutait que les psychanalystes prospéreraient de la même manière que « les mages et les guérisseurs »1. Il annonce avec ironie que ce que nous appelons aujourd’hui l’offre psy deviendrait monnaie courante.
Le choix du signifiant « clientèle » propre au discours capitaliste laisse bien entendre l’enjeu : une marchandisation de la parole. L’orientation que Jacques-Alain Miller a donnée en 2009 aux lieux d’exercice de la psychanalyse appliquée reste d’une grande actualité : « On appelle lieu d’écoute aujourd’hui un endroit où un sujet est invité à déblatérer à tire-larigot. On dit que la mise en mots soulage. Un Lieu Alpha est un lieu de réponse, un lieu où le bavardage prend la tournure de la question, et la question elle-même la tournure de la réponse.2 » Le temps réduit propre au dispositif des CPCT et l’invitation à déblatérer sont incompatibles. Soulignons que « la scansion temporelle, le “ ça suffit comme ça, revenez la prochaine fois ” est le tranchant même de l’interprétation au sens de Lacan3 ».
Spéculation/réduction
Lacan montre que la psychothérapie spécule sur le sens et « ramène au pire4 ». Spéculer sous-entend abonder, rajouter, tirer profit. Nous soutenons que la réduction est un des antidotes de la psychanalyse contre la tentation de spéculation sur le sens, la réduction va contre le pousse à la prolifération propre à la parole.
Le dispositif proposé par le CPCT-Paris est orienté par un certain usage de la réduction. La consultation temps un, est le moment de circonscrire rapidement comment le sujet énonce ce qui le tracasse. Cette pratique rapide implique un certain maniement de la coupure pour tenter d’extraire un fil par lequel le traitement va démarrer, fil court que le praticien reprend tout au long du traitement. Ce fil qui va du temps un jusqu’à la fin du traitement permet de lutter contre toute tentation de spéculation du sens. Précisons que ce fil est tissé par « toutes sortes de façons de dire5 » du sujet, repérées dans la consultation et isolées avec délicatesse pendant le traitement.
Scandere
La temporalité propre au dispositif est celle d’un entrecroisement de l’écriture et de la lecture du cas. Détacher les séances une à une pour les écrire et les lire est une manière de rendre radical un usage du temps court du traitement. Compte à rebours dont le praticien sent le poids dans l’usage mesuré de ses interventions.
Extraire des dires, souligner des énoncés, faire résonner des formulations produit des effets de déplacement subjectif infimes, mais solides. Le fait d’être entendu d’une manière inédite a des conséquences. La demande de précision ne consiste pas à faire déplier, mais à resserrer parce que le temps est limité.
Donner la chance, à quelqu’un qui demande à être écouté, d’entendre un dire noyé dans l’assourdissant brouhaha de sa propre parole, est une manière de finir un traitement au CPCT. Seize séances pour extraire un dire qui peut être point d’appui, d’orientation ou d’apaisement.
Omaïra Meseguer
[1] Lacan J., « Entretien au magazine Panorama-Questions d’Emilio Granzotto », La Cause du désir, n°88, octobre 2014, p. 167.
[2] Miller J.-A., « Vers Pipol 4 », disponible en ligne.
]3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Silet », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 23 novembre 1994, inédit.
[4] Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 514.
[5] Lacan J., « Conférence de Genève sur le symptôme », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12.
