La vacuité et la solitude sont les tonalités fréquemment associées aux expériences relationnelles de notre époque. En contrepoint, le renouvellement incessant des sites de rencontre se lit, à l’envers de toute garantie, comme signature du malaise grandissant en la matière. Comment cerner ce qui fait le sel d’une rencontre amoureuse ? Telle est la question que le dernier colloque de l’ACF en ECA, qui s’est tenu le 7 décembre 2024 sous le titre « La rencontre… et l’amour ? », a mis en exergue.
L’amour trouve sa source dans le pouvoir des mots. La chance de la rencontre amoureuse se fonde sur le lien intime de chacun à la dimension de la parole. Elle est ouverture vers l’Autre. Mystérieuse, elle s’empare du corps parlant et fait événement, amenant parfois le sujet à modifier la trajectoire de sa vie. Ce bouleversement est d’autant plus précieux qu’insaisissable. Sa nature la rend si vivante : elle relève de l’être et touche le corps. Elle prend forme dans le surgissement inattendu d’une résonance entre deux êtres, exilés de structure, en tant que marqués par la langue. Y consentir implique de se faire partenaire de cet écho, tout en trouvant chez l’autre, écho à son propre exil. Les registres de l’amour et de l’être se conjuguent alors en ce que « l’amour vise l’être, à savoir ce qui, dans le langage, se dérobe le plus1 ».
L’expérience analytique convoque-t-elle cette dimension de la rencontre ? Freud, en faisant du transfert le fondement de l’expérience, nous fraie la voie. Poussé par le désir de savoir, l’analysant s’en remet à l’analyste, et, par là-même, l’élit comme partenaire. En incarnant le lieu de l’Autre, l’analyste devient cette adresse « véritable » au parlêtre. « L’avènement d’une parole vraie2 » survient depuis cette place, supportée par l’analyste. En accueillant la parole, « ce qu’il donne à l’analysant et qui est si précieux, c’est une parole […] à travers une interprétation3 ». Ainsi, ce statut unique donné à la parole la fait consister en lui conférant une teneur autre. Si l’expérience analytique se fonde sur la rencontre de l’analyste, c’est dans son dépassement que gît la chance pour le sujet de rencontrer sa propre parole.
Dans l’analyse, la rencontre avec l’intime, logée dans le matériel qu’est la parole, peut avoir l’effet de toucher de manière inédite le vivant du corps, le faisant dès lors pulser autrement. Lacan nous éclaire quant à l’articulation entre pulsion et parole : « les pulsions, indique-t-il, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire4 ». Ainsi, la parole sous transfert, en évidant l’automaton de ce qui est aux commandes et constitue le programme de la jouissance, fait une place à la tuché, laissant jaillir du nouveau sous la modalité de la surprise. Prendre le risque d’adresser sa parole peut alors neutraliser la charge pathogène portée par les signifiants marquant l’histoire de chaque-Un. Dès lors, ils trouveront à s’actualiser différemment, faisant advenir une vibration nouvelle, celle d’un plus-de-vie. L’analyse peut mener à la rencontre imprévisible de la contingence et constitue en cela un vent de liberté. Cela fait toute la splendeur de ce pari.
Ariane Fournier
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 40.
[2] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 302.
[3] Leguil C., « La psychanalyse, un pari sur le “Je” », mai 2024, disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=FsGyS1lWZBU
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 17.