Dès l’ouverture de l’« Unité clinique Jacques Lacan », j’ai souhaité y installer une présentation clinique, en invitant deux analystes de l’ECF1 pour en soutenir l’expérience. L’intérêt de cette pratique dans la voie qu’avait ouverte Jacques Lacan nous conduisit, en regroupant les services de l’Île-de-France où des présentations avaient lieu (Rueil-Malmaison, Ville-Évrard), à proposer à l’Institut du Champ freudien la constitution d’une Section clinique – aujourd’hui, Uforca – Paris-Île-de-France2. Cinq présentations d’adultes et deux d’enfants et adolescents sont au programme de cette Section avec un succès de participation constant.
J’ai la conviction qu’aucune autre pratique ne peut se substituer à ces entretiens où se rencontrent les corps pour assurer au mieux la transmission clinique. En effet, les entretiens avec un psychanalyste, devant un public choisi de professionnels en formation, restent un mode de transmission particulièrement adapté à la psychanalyse. Il préserve les qualités de l’entretien particulier et la rencontre des corps, conditions minimales de l’expérience du recueil clinique. Cette pratique, plus causerie orientée que présentation de cas, est l’occasion de faire surgir des effets de sujet dans le récit d’une histoire individuelle, sans rien effacer de l’énonciation, des formations de l’inconscient ou des phénomènes de langage.
Comment cet exercice peut-il avoir valeur d’enseignement pour se former à une clinique orientée par la psychanalyse ? Si la clinique c’est « le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter3 », cet impossible est ce dont témoigne un sujet hospitalisé qui ne parvient plus à se débrouiller de ce réel qui l’accable. Mais l’impossible à supporter peut aussi être celui de l’équipe soignante qui, à travers le choix du patient proposé à la présentation, demande à s’orienter. Elle découvre alors les nuances d’une clinique différentielle qui cherche à se repérer dans la structure. Elle prend conscience que c’est une pratique bien plus exigeante que celle de la réunion d’équipe. Elle réalise qu’il faut s’orienter à partir des dits du sujet et pourra mieux accompagner un sujet en ayant été attentive aux inventions même minimes qu’il a élaborées.
D’une manière générale, ceux qui ont assisté à une présentation de malade reconnaissent qu’elle n’était pas sans les avoir affectés. Le dispositif lui-même produit des effets qui opèrent dans plusieurs directions, auprès du patient, des équipes du service, des présentateurs, du public. Chacun peut saisir le mode de décomplétude qui opère. Inscrire un tel dispositif dans un service, c’est accepter les effets de déplacements, qui iront au-delà du seul temps de la présentation.
C’est avec le cas de sa thèse de jeune psychiatre, Aimée4, que Lacan devient freudien et démontre sa maitrise de la construction systématique d’un cas. La présentation qu’il soutint tout au long de sa vie à l’Hôpital Henri Rousselle à Sainte‑Anne, témoigne de sa conception du cas auprès duquel il s’impliquait jusqu’à revoir les patients dans les jours qui suivaient en se déplaçant auprès d’eux. Comment ne pas être impressionné par le fait que dans le texte « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI5 » – colophon de son œuvre, comme l’indique Jacques‑Alain Miller –, Lacan revient aux sources de son accrochage à la psychanalyse freudienne en soulignant la spécificité de ce cas princeps, Aimée. Son pseudonyme même soulignant la portée de l’amour dans le cas et dans le transfert avec ce sujet, pourtant dans la psychose, comme ouvreur d’une clinique à laquelle il ne cessera d’avoir recours, comme Freud l’avait fait avec les hystériques.
Dans « Enseignement de la présentation de malades6 », J.‑A. Miller dessine un nouvel ordonnancement de la clinique à partir de l’enseignement de Lacan. Normalité, maladie de la mentalité, paranoïa sont réexaminées, non pas à partir de diagnostics posés par Lacan, mais dans ce qui se déduisait de son bref commentaire et surtout de ce qu’il avait permis au patient de dire. « Ce qu’on apprend, on le saisit au vol, de la bouche de l’un ou de l’autre, et on n’est jamais très sûr d’avoir quelque chose en main, ou rien.7 » J.‑A. Miller souligne qu’il y a aussi dans l’exercice de la présentation, dans son commentaire d’après-coup, la tentative de construire un cas, en allant de la contingence à la nécessité8.
Faut-il insister sur le soin avec lequel ces présentations sont mises en place : consentement du sujet présenté, formation de l’analyste qui s’entretient avec lui, service permettant d’accueillir les effets d’après-coup, les questions du patient présenté et qu’il y trouve aussi son intérêt, afin qu’à aucun moment la démonstration ne prenne le pas sur le témoignage de celui qui s’exprime. Il est donc aussi nécessaire que les participants soient identifiés comme participants à la section clinique et qu’ils respectent le cadre qui les accueille.
Exercice essentiel à notre formation, la présentation clinique nécessite un soin attentif et c’est à ces conditions qu’elle se fait.
Jean-Daniel Matet
[1] En 1986, avec Marie-Hélène Brousse et Herbert Wachsberger.
[2] Cf. Miller J.-A., « Prologue de Guitrancourt », Programme des Sections cliniques UFORCA, 1988, disponible sur internet.
[3] Lacan J., « Ouverture de la section clinique », Ornicar ?, n°9, avril 1977, p. 11.
[4] Cf. Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1932.
[5] Cf. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571-573.
[6] Cf. Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malade », Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p. 13-24.
[7] Ibid., p. 13.
[8] Cf. Miller J.-A., « “Dix minutes à Moscou”. Sur la pratique analytique avec les enfants », 2013, disponible sur Lacan Web Télévision.