« Peut-on faire partie de la cité comme psychanalyste ?1 », se demandait Jacques-Alain Miller, pour aussitôt souligner que le monde qui nous entourait ne se présentait plus comme une cité.
Les cités ont disparu, sous l’effet d’une société marchande propice au plus-de-jouir. Cette exigence de jouissance est homogène à l’objet même de la psychanalyse. Mais à la différence du marché et son supposé savoir ce qu’il vous faut, la psychanalyse n’est pas progressiste. À l’idéal du progrès répond la position de l’analyste, sa « neutralité malveillante2 » à l’endroit des semblants du marché : il y a toujours une part perdue !
Dans cette position, l’analyste est concerné, ce qui fait toute la différence avec les acteurs de la santé mentale qu’ont la plupart du temps rencontrés ceux qui prennent rendez-vous au CPCT. En effet, la psychanalyse inclut le désir de l’analyste comme essentiel au processus lui-même parce qu’elle suppose que l’analyste en cerne la donne : un trou réel, un non-savoir, la Spaltung freudienne qui oriente sa pratique. Lacan affirmait dans L’Éthique de la psychanalyse – ce qui ne manque jamais de créer la surprise chez les sujets qui viennent au CPCT : « on pourrait de façon paradoxale, voire tranchante, désigner notre désir comme un non-désir de guérir3 ». Au fondement de l’acte du psychanalyste, un simple désir d’analyse ! Juste une invitation à ce que la parole d’un sujet reprenne ses droits, à l’extraire d’un bavardage sans prise sur le réel.
L’enjeu de la première consultation est en cela à chaque fois un pari, celui de provoquer un petit éclair dans les énoncés d’un parlêtre, le fait « que l’on s’aperçoit de ce qu’un mot peut vraiment vouloir dire pour quelqu’un4 ». Une rectification dans l’énonciation s’ensuit, signe de la mise en acte d’un transfert, dont l’écho est susceptible de se prolonger dans le traitement.
La qualification par J.-A.Miller de la séance analytique comme « lieu prévu pour que s’y produise l’imprévisible5 » ne s’applique-t-elle pas à nommer ce qui a présidé à la création même du dispositif qu’est le CPCT ? Celle de relever le gant de la psychanalyse à laquelle nous invite Lacan dans son enseignement joycien. Les conversations cliniques du CPCT élaborent et transmettent les effets de cette pratique appliquée à saisir où se loge la singularité d’un sujet, à la réveiller, à la soutenir.
Et s’ils ne font pas état de « guérison », les sujets que nous recevons au CPCT parlent bien souvent d’une sensation retrouvée du sentiment d’existence, telle cette patiente en fin de traitement qui pouvait dire : « Si je n’ai pas résolu tous mes problèmes, je me sens embarquée dans la vie. »
(I Can’t Get No) Satisfaction chantaient les Rolling Stones en 1965, dénonçant par ces cinq notes les effets de l’aliénation marchande de la société contemporaine. « Cinq notes qui ont secoué le monde6 », pouvait-on lire dans Newsweek, cinq notes qui n’ont sûrement pas échappé aux oreilles de Lacan, aiguisant dans son tout dernier enseignement le tranchant ironique de la psychanalyse, sur l’R du réel !
Valentine Dechambre
[1] Miller J.-A., « La psychanalyse, la cité, les communautés », La Cause freudienne, n°68, mars 2008, p. 117.
[2] Ibid, p. 110.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par Jacques-Alain Miller, Seuil, Paris, 1986, p. 258.
[4] Miller J.-A., « La psychanalyse, la cité, les communautés », op. cit., p. 113.
[5] Miller J.-A., « La nouvelle alliance conceptuelle de l’inconscient et du temps chez Lacan », La Cause freudienne, n°45, mai 2000, p. 10.
[6] Newsweek, magazine américain, archives, disponible en ligne.