En 2015 parut un ouvrage collectif sur la guerre intitulé La psychanalyse à l’épreuve de la guerre1. Avec le recul s’impose un changement de La guerre en Les guerres, dispersées et localisées sur des territoires toujours plus nombreux.
Finies les alliances durables, qu’elles soient publiques ou occultes. De même que les blocs, les alliances s’effritent.
Les guerres sont en effet aujourd’hui majoritairement locales : au Proche-Orient, en Ukraine, en Afrique… On constate une dispersion géographique et idéologique.
L’Europe, depuis la fin de la Deuxième Guerre dite mondiale dont elle fut le théâtre, s’était progressivement démilitarisée, ne se livrant plus qu’à des guerres coloniales, perdues d’avance. Le temps était au duel : bloc communiste contre bloc capitaliste. 2025 est l’époque du réarmement généralisé.
Orientons-nous de la psychanalyse dans l’abord de ce qui s’avère un invariant de toute société.
La guerre à l’épreuve de la psychanalyse :
Le versant imaginaire de la guerre
Lacan dès ses premiers textes travaille sur l’agressivité. Liée à ce qu’il nomme une dislocation corporelle2, il affirme que l’agressivité est une des données du moi humain et joue un rôle fondamental dans le malaise dans la civilisation, la crainte de la mort n’étant qu’une des manifestations de la crainte narcissique de la lésion du corps propre.
Dans un texte de la même période, « La psychiatrie anglaise et la guerre », Lacan énonce qu’est nécessaire à toute guerre « la présence de l’ennemi qui soude le groupe devant une menace commune3 ». Ceci donc se situe sur l’axe imaginaire a-a’. Il ajoute : « cette guerre a, je pense, suffisamment démontré que ce n’est pas d’une trop grande indocilité des individus que viendront les dangers de l’avenir humain4 ». Il s’agit de l’obéissance au surmoi et des « abandons les plus veules de la conscience pour mener les hommes à une mort acceptée5 ».
La dimension symbolique de la guerre
Elle apparaît tant dans l’expression les lois de la guerre que dans la paire S1-S2, guerre et paix.
Une guerre n’est pas un combat de rue, une bagarre. Il existe des tribunaux internationaux et certains dirigeants nazis en firent l’expérience. Les documentaires de Rithy Panh sur les Khmers rouges en sont un autre exemple.
Certes les lois de la guerre se sont modifiées au cours de l’histoire des sociétés humaines, et, comme toutes les lois, elles sont enfreintes. Mais elles ont pour objectif de soumettre l’agressivité et la haine, nécessaires au combat, à des lois se réclamant de l’éthique du moment.
Ajoutons un autre élément. Le commandement important s’il en est, relève lui aussi du symbolique par le biais de la hiérarchie. Une série, Band of Brothers, déploie les conséquences de différents types de commandement sur les résultats des actions, prenant comme unité de mesure le nombre de morts survenues lors de chaque action engagée.
La dimension du réel
Elle se déduit du lien universel entre les groupes humains et la guerre. Cette universalité, fil rouge de toute organisation des groupes humains, est l’indice d’un réel.
Dans ce texte « La psychiatrie anglaise et la guerre », Lacan oppose le mode d’irréalité avec laquelle les Français avaient vécu la guerre au rapport véridique au réel dont il caractérise la position anglaise6.
Comparant les ruines de l’Antiquité qu’on peut admirer à Rome aux ruines de Londres dévastée, il souligne que si les premières relèvent de la sublimation, les deuxièmes sont réelles7.
La guerre mesure le trait du réel à la destruction. On lira sur ce point le superbe livre de Winfried Georg Maximilian Sebald De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, texte publié en 2004 à partir d’une conférence donnée à Zurich en 1997.
Marie-Hélène Brousse
[1] Brousse M.-H. (s/dir.), La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Paris, Berg International, 2015, épuisé.
[2] Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 103.
[3] Lacan J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 108.
[4] Ibid., p. 120.
[5] Ibid.
[6] Cf. ibid., p. 101.
[7] Cf. ibid., p. 101-102.