Un axe se dégage des textes cliniques que nous travaillerons à Pipol 12 : de la famille au malaise. La famille normale n’existe pas. Pas de famille sans malaise. Le mot « malaise » est même faible au regard de la variété des cas, parfois invraisemblables. La famille, comme le dit Jacques-Alain Miller, est malentendu, non rencontre, déception, criminelle1. Elle est aussi reniement, violence des corps, quand elle n’est pas celle des mots ; elle vaut souvent comme suppléance au non-rapport sexuel. L’harmonie familiale parfaite ne se rencontre jamais, elle est toujours superficielle, car elle cèle en son creux un secret, le plus souvent abject.
Croyance et malentendu
L’enfant veut pourtant croire à la famille. Il veut croire à ce fantasme, que Lacan qualifie de « postiche, celui de l’harmonie logée dans l’habitat maternel2 ». Le fantasme fait partie du passage obligé pour devenir une grande personne. Selon Freud, « l’activité fantasmatique prend pour tâche de se débarrasser des parents, désormais dédaignés, et de leur en substituer d’autres, en général d’un rang social plus élevé.3 » De nombreux cas que nous entendrons témoignent de l’effort d’un sujet pour se séparer de l’autorité parentale.
Au-delà du fantasme, la question se pose parfois du désir en jeu qui préside à la naissance d’un enfant. Être désiré ou non n’est pas la boussole qui sera déterminante pour la jouissance de l’enfant. « Il n’y a pas d’autre traumatisme de la naissance – nous dit Lacan – que de naître comme désiré. Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre. Le parlêtre en question se répartit en général en deux parlants. […] Deux qui se conjurent pour la reproduction, mais d’un malentendu accompli, que votre corps véhiculera avec ladite reproduction.4 » Le parlêtre qu’introduit ici Lacan pointe une dimension autre que celle du désir et du fantasme, il s’agit de la jouissance en jeu dans ce « malentendu accompli ».
Clinique de la famille
Un texte témoigne d’une enfant qui, dès sa naissance, doit faire face à une mère sournoise, féroce et insultante ; un autre texte, d’un garçon qui arrive chez le praticien, car il tente de se suicider en toute occasion se faisant ainsi docile à ses voix qui le harcèlent ; une fille fait sa transition F to M et se retrouve renié(e) par sa mère.
Pipol fait valoir une pratique qui s’éclaire d’une éthique, celle de Lacan. Les cas des simultanées ne sont pas tous écrits par des psychanalystes. De nombreux textes déplient le suivi d’un sujet qui se trouve en CMP ou en CMPP, en institution, voire dans un hôpital psychiatrique. Ce suivi attentif des praticiens est revigorant ! On y découvre des inventions, des actes, des interprétations, des accompagnements attentifs et respectueux, qui se font avec un tact discret. On y relève aussi des interventions parfois risquées, mais toujours calculées. Ce qui – pour ceux qui n’en seraient pas complètement convaincus – entérine la puissance de la formation lacanienne, celle de sa propre analyse comme celle de son enseignement.
Pipol 12 se déroule les 12 et 13 juillet prochains à Bruxelles. Nous vous y attendons.
Bruno de Halleux
Responsable des simultanées de Pipol 12 avec Els Van Compernolle
[1] Cf. Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », in Sommer-Dupont V. & Vanderveken Y. (s/dir), Enfants terribles et parents exaspérés, Paris, Navarin, 2023, p. 163.
[2] Cf. Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 367.
[3] Freud S., « Le roman familial des névrosés », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 158-159.
[4] Lacan J., « Dissolution ! », Aux confins du séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 75.