« Être mère, ça s’invente » était l’intitulé du 7e Colloque du CPCT-parents de Rennes qui s’est déroulé le 5 décembre 2014. Depuis 2007, la tenue de cet événement est un moment-clé : politique par sa présence au sein de la cité, et clinique, pointant ce que la rencontre d’un sujet avec le discours analytique peut produire, dans le dispositif limité dans le temps d’un CPCT.
Après l’ouverture par la Présidente de l’ARPELS (Association de Recherche en Psychanalyse et Lien Social) gestionnaire du CPCT, Myriam Perrin, extraits cinématographiques à l’appui, nous a introduits dans un monde résolument contemporain, avec « Les milles et une mère d’une fiction sur l’obstétrique moderne »[1] de la série américaine Private Practice.
Addison Forbes-Montgomery, gynécologue et chirurgienne néo et périnatale, est aux prises avec le vertige des nouvelles technologies médicales (concevoir un fœtus afin de prélever le sang ombilical pour sauver un autre enfant ; faire maturer puis implanter les ovocytes de son nourrisson mort afin d’être plus tard mère à nouveau) et les embrouilles de son désir. Entre les deux se creuse un gap. Addison, d’être gynécologue, n’en est pas moins femme. Elle souffre les affres avec son partenaire ; après avoir eu un enfant par mère porteuse, elle verra réapparaître la mère biologique qui viendra, et en toute légalité, l’évaluer dans sa capacité à être mère. L’enfant a deux mères, celle qui l’a adopté et celle qui l’a « fabriqué » selon ses termes.
Les demandes du XXIe siècle liées à la maternité sont les conséquences logiques des nouvelles technologies scientifiques. Cette série montre, entre autres, qu’elles n’épuisent ni ne règlent la question de l’amour, du désir et de la jouissance.
Trois cas cliniques ont témoigné d’une réalité plus quotidienne : ravage du surmoi maternel renforcé par les diktats contemporains prônant des prêt-à-faire universels, perte d’appui après une séparation conjugale, impuissance aux commandes, fixation à une identification. Chacune de ces mères est venue frapper à la porte du CPCT sous un même signifiant sans jamais en être attrapées de la même façon. De l’enfant dont elles se plaignent, qu’elles ne reconnaissent plus, ne comprennent plus, un pas peut se franchir à ce qu’elles ont été comme enfant. Ces trois cas montrent aussi la façon dont les mots et l’acte du praticien opèrent au CPCT, avec ce qui s’en déduit d’effets thérapeutiques sans suggestion. Le travail au CPCT-parents nous enseigne que la variété des faits qui conduisent une mère, un père à s’y adresser, s’inscrit dans le ratage de la fonction et vient révéler les impasses de cette mère, de ce père-là. Les butées énoncées s’opposent à ce que le parent s’était forgé comme idéal de sa fonction, à ce qu’il suppose être attendu de lui ou le convoque à une place qu’il ne peut pas prendre. Produire un écart avec une harmonie tant rêvée et de toute façon impossible de structure, faire entendre qu’il n’existe aucun mode d’emploi de la fonction, ni aucune garantie quant aux actes et décisions prises par chacun, peut donner chance de renouer avec le fil du désir afin de poursuivre l’invention de ses propres réponses. Venir parler au CPCT de son enfant, de sa fonction de mère, de père, ne relève pas seulement d’un dire mais est aussi un acte sous-tendant le désir de parler en son nom propre là où le recours à la parole commune défaille.
Notre invitée, Claude Quenardel, membre de l’ECF, en a tiré plusieurs bords : être mère ne relève d’aucune évidence pour une femme et ne répond pas à un instinct ; être mère ne va pas de soi et le manque de savoir préalable sur cet événement oblige chacune à inventer sa façon d’être mère. Mais « être mère ne vient pas de nulle part. On ne peut dissocier la maternité de la sexualité féminine »[2]. Des trois cas, elle a extrait la connotation surmoïque du vouloir : la patiente d’Isabelle Delattre ne voulait pas d’enfant et se force à en avoir ; celle de Dominique Tarasse masque son incapacité à être mère en voulant être une mère parfaite ; la patiente d’Alice Davoine veut un enfant « plus que vivant ». À la volonté, avec ce qu’elle emporte pour le sujet d’énigme, de férocité et d’illimité, s’oppose le désir avec ce qu’il implique d’ouverture et de légèreté. Le temps limité au CPCT induit du côté du consultant une certaine urgence quant à situer un au-delà de la demande afin d’avoir chance de relancer le désir du sujet.
S’appuyant sur la Leçon du 19 mars 1974 du séminaire de J. Lacan Les non dupent errent, qui examine les conséquences du déclin du Nom-du-Père, C. Quenardel a introduit la perspective inédite de Lacan, à savoir la substitution au Nom-du-Père d’un nouvel ordre, l’ordre maternel « auquel les mères peuvent se raccrocher pour y trouver repère et sécurité […] un ordre qui opère avec des normes […] Il s’agit d’identifications puissantes qui sont le produit de l’ordre social que Lacan a qualifié d’ordre de fer ou encore d’ordre de faire, écartant tout défaut d’invention singulière »[3].
Notre invitée mettra en avant la nécessité d’une invention pour chaque mère, invention qu’elle situera du côté de la dimension de l’inconscient, et rappellera ce que chaque cas a de singulier et d’incomparable.
[1] Titre de l’intervention de Myriam Perrin, membre de l’École de la Cause freudienne.
[2] Intervention de Claude Quenardel, colloque du CPCT-parents de Rennes, 5 décembre 2014
[3] Ibid.