
« Enough ! »
« Je crois, dit Lacan, qu’il y a plus de vérité dans le dire qu’est l’art que dans n’importe quel bla-bla » précisant qu’il s’agit là d’« un verbal à la seconde puissance » [1].
Qui mieux que l’artiste peut révéler ce savoir incommensurable du verbe dans le rapport à la jouissance qui constitue l’inconscient réel ?
« C’est là – soulignait Lacan dans son hommage à Marguerite Duras – le sens de cette sublimation dont les psychanalystes sont encore étourdis de ce qu’à leur en léguer le terme, Freud soit resté bouche cousue. Seulement les avertissant que la satisfaction qu’elle emporte n’est pas à prendre pour illusoire » [2].
La représentation de Macbeth Underworld, du compositeur Pascal Dusapin, créée au théâtre de la Monnaie à Bruxelles en automne, programmée à l’Opéra Comique à Paris au printemps, n’aura pas lieu, conséquence de l’attaque du COVID-19 sur les productions de l’art. Il est possible toutefois de visionner l’œuvre sur le site de l’Opéra Comique [3].
Macbeth Underworld plonge le spectateur dans l’atmosphère hagarde d’un « monde d’en-dessous » où les deux criminels shakespeariens sont condamnés à rejouer sans fin leur tragédie. Ce huis clos infernal où « des rêves tordus agitent le rideau du sommeil » [4], multiplie les trouvailles visuelles du metteur en scène Thomas Jolly dont l’effervescence baroque et le burlesque le disputent à l’épure du jeu scénique des chanteurs.
Du côté de l’oreille, la musique, évidemment atonale de Pascal Dusapin, déploie dans sa beauté plastique les inventions poétiques qui, tout en situant l’innommable, en déchirent l’opacité par ces fulgurances lyriques qui font la signature du compositeur.
Celui-ci nous livre quelques secrets de fabrication : « Dans Macbeth il y a un requiem où je concocte toute une cuisine harmonique qui permet de le dis-jointer de l’espace précédent. Quand on arrive au requiem, on a tout d’un coup une sensation de lumière. Enfin de lumière sombre. Une sorte d’effet très surprenant qui tient à ce dis-jointement, avec ce passage d’un mode où le bémol est souverain et qui devient abruptement le bécarre. Ça se joue sur un demi-ton mais ça change absolument tout, toute la couleur harmonique… » [5]
« Dis-jointer » : tel est l’art de Dusapin, qui opère à même le tissu sonore du texte pour provoquer ces vibrations de lalangue dont sont animés les corps sur scène.
En mode lacanien, cela pourrait se nommer écriture musicale de l’évènement de corps.
« Macbeth est fou ! » dit Dusapin. « On est tous fous ! Dans mon Macbeth j’avais imaginé la fin comme un précipice avant même d’avoir commencé à écrire. Je l’ai dit au dramaturge Frédéric Boyer : il faut que ça se termine par ‘‘enough !’’. J’étais guidé par ce truc-là ! C’est le seul de mes opéras qui se termine par un tel fracas. Cela a quelquefois perturbé le public car cette fin abrupte crée un espace de sidération, c’est-à-dire que c’est incompréhensible. Et pourtant… » [6]
Sidération. Perplexité. Poésie. Le divertissement quand il est le fait du poète n’a-t-il pas ce pouvoir de faire vibrer ce savoir sans sujet, jouissance réelle de lalangue hors sens, qui fait le mystère de l’inconscient, du corps parlant ?
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 18 janvier 1977, Ornicar ?, n°15, été 1978, p. 9.
[2] Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 195-196.
[3] Dusapin P., Macbeth Underworld, opéra, France, 2019, disponible sur le site de l’Opéra Comique : opera-comique.com
[4] Cf. Boyer F., Livret de Macbeth Underworld, op. cit.
[5] Dusapin P., entretien, Paris, Éditions MF – Musica Falsa, à paraître en septembre 2020.
[6] Ibid.
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