« Dans leur lit, dans la cuisine, au retour de l’école, devant la télévision, penchés sur leurs devoirs, dans la rue, dans les supermarchés, en voiture, en forêt, à la piscine, Kim et Sam étaient filmés par leur mère. Elle surgissait sans prévenir, portable à la main, et commentait les images. »
Delphine de Vigan, Les Enfants sont rois
Delphine de Vigan soulève le voile et nous immerge dans un tableau qui n’a rien d’un spectacle. Nulle fiction au rendez-vous dans ces scènes de la vie quotidienne qui s’étalent telles des images crues données en pâture, à travers cet œil, intrus, menant directement dans une voie sans issue. La figure d’un sujet transparent hantant notre temps [1] redouble cet Autre par essence trop envahissant. Nous ne connaissons que trop bien cette certitude du petit d’homme selon laquelle l’Autre a accès à ses pensées les plus secrètes.
Si « l’intime […] est le lieu même du sujet » [2], sa construction est une opération fondamentale chez un enfant, de celle qui noue le sujet à l’Autre tout en le séparant. Il ne s’agit alors pas d’incarner cet Autre inquisiteur qui cherche à débusquer ce bout de savoir caché, mais plutôt de proposer une autre forme de lien.
Comment faire émerger l’intime en faisant offre de parole ? La vague d’un tout dire inonde les réseaux sociaux et pour autant nous savons que pas tout pourra se dire. Un silence subsiste autour de l’os du réel. Un silence à faire germer, dont les contours doivent prendre le temps de se dessiner. Si pour un adulte, il s’agit de traverser le fantasme afin qu’il perde un peu de consistance, pour un enfant, la cure analytique vise parfois à lui donner un coup de pouce pour construire cette fenêtre à travers laquelle il verra le monde.
Un nouage dans le transfert peut permettre que se délimite cette intimité constitutive pour un enfant qui ouvre la porte à sa condition de sujet. C’est ce que nous apprennent les jeunes enfants qui, quelle que soit leur structure, en passent très souvent par une phase de découpage quasi frénétique – l’important n’étant pas tant le contenu déposé que le bout de papier découpé, à l’occasion caché dans une enveloppe scellée.
D’être tout regard, le parent rate sa fonction de transmission, celle « de nouage entre désir, amour et jouissance » [3] qui prend consistance dans le roman familial, cette première fiction « où l’homme peut se tenir séparé du monde, d’où, par la fenêtre, en secret, il peut le contempler, et où, hors de tout regard, il peut se regarder lui-même » [4].
[1] Cf. Wajcman G., « Intime exposé, intime extorqué », The Symptom, n°8, hiver 2007, publication en ligne.
[2] Ibid.
[3] Leguil F. « Un lien qui sépare », La Petite Girafe, n°24, septembre 2006, p. 13.
[4] Wajcman G., « Intime exposé, intime extorqué », op. cit.