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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 244, Édito

ÉDITORIAL : Hamlet, l’écho d’une parole « du type fatal »

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Hamlet « accroche quelque chose de notre inconscient à nous » [1], dit Lacan. D’ailleurs, la pièce de Shakespeare avait déjà retenu l’attention de Freud, en témoigne sa Traumdeutung. Lacan commente les avancées de ce dernier dans la première des sept leçons consacrées à Hamlet [2].

Hamlet est chargé par son père de le venger. L’ancien roi du Danemark apparaît sous la forme d’un fantôme pour révéler à son fils qu’il n’est pas mort accidentellement, piqué par un serpent comme on le croit à la cour, mais qu’il a été assassiné par son propre frère. En plus de sa vie, il s’est trouvé ainsi dépossédé de son trône, de son salut et de sa femme, la mère du prince, complice de l’abjection.

Les scrupules d’Hamlet, repoussant constamment l’accomplissement de la vengeance de son père, sont la représentation consciente de quelque chose qui s’articule dans l’inconscient, souligne Freud [3]. Cependant, si ce dernier rapporte les hésitations d’Hamlet à une culpabilité, la mort du père assassiné réalisant un vœu œdipien inconscient, Lacan, lui, le lit autrement. Il s’intéresse, bien sûr, au désir inconscient, mais pour amorcer un virage qui l’emmène au-delà de l’Œdipe. Le désir, à ce moment de son enseignement, n’est plus seulement un effet du signifiant mais plonge ses racines dans la jouissance. Lacan démontre en quoi la tragédie shakespearienne et la temporalité dans laquelle est prise Hamlet, celle d’une décision impossible, concerne l’intrusion d’une jouissance qui n’est pas symbolisable [4] : « quelque chose […] a manqué dans la situation originelle, initiale, du drame d’Hamlet, en tant qu’elle est distincte de celle de l’histoire d’Œdipe, à savoir la castration » [5]. L’acte est impossible, car le sujet comme réponse du réel n’y est pas. Et qu’il y soit suppose une opération par laquelle une part de la jouissance en excès passe au symbolique.

Lacan articule ce défaut de castration à ce qu’Hamlet sait : « Que le père révèle la vérité sur sa mort est une coordonnée essentielle […]. Un voile est levé, celui qui pèse justement sur l’articulation de la ligne inconsciente » [6]. Or, l’on peut supposer « que ce voile doit bien avoir quelque fonction essentielle pour la sécurité […] du sujet en tant qu’il parle » [7]. Cette question du savoir est décisive et fait la différence entre Œdipe – qui ne sait pas quelle part il a pris au réel qui le frappe ainsi que sa lignée – et Hamlet qui, lui, sait.

« Enfermé » dans la parole du père, Hamlet a reçu « une réponse du type fatal » [8]. Au point même où se produit une signification de l’Autre, le fantôme a fait signe au sujet, lui faisant apercevoir ce qu’il y a sous le voile. Le Ghost lui a laissé entrevoir la Chose. À la question « qu’un sujet se pose à lui même de savoir qui parle ? », c’est-à-dire au niveau du « signifié de l’Autre » [9], surgit une réponse aux échos funestes. Effet d’une parole paternelle faisant « fonction de poison » [10], ce message reste obscur et ne pourra être déchiffré.

Lacan trace un circuit logique allant de cet indéchiffrable à ce qui, de la jouissance, ne se chiffre pas dans une dimension inconsciente. C’est une approche de l’énonciation à situer non seulement comme une production de discours mais comme un franchissement. La possibilité, au terme d’« un lent cheminement en zigzag, un lent accouchement » [11], de se confronter à un réel opaque, asémantique. Lacan utilise le héros shakespearien pour servir son propos concernant les effets sur un sujet d’une rencontre avec l’indicible.

En cela, ces sept leçons sont cruciales pour l’expérience analytique.

[1] Lacan J., cité par P. Naveau, in « Hamlet et le désir », Lacan Quotidien, n°349, 2 novembre 2013, publication en ligne.

[2] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien, 2013, p. 279-401.

[3] Cf. Freud S., L’Interprétation du rêve, Paris, PUF, 2010, p. 306.

[4] Cf. Aflalo A., « Raisons et ruses du désir chez Hamlet », Mental, n°32, octobre 2014, p. 97-118.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, op. cit., p. 296.

[6] Ibid., p. 351.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 352.

[10] Ibid., p. 478.

[11] Ibid., p. 296.

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