Depuis Freud, il y a un lien entre la psychanalyse et le champ juridique appendu à celui du droit. On pourrait rappeler que le mythe d’Œdipe s’est fondé sur l’inceste et le parricide et que la thèse de Lacan avec le « Cas Aimée » s’est penchée sur le passage à l’acte et la criminalité dans la psychose. Chaque champ a sa propre conception sur ce qui causerait le malheur des individus, interrogé notamment par Freud dans Le Malaise dans la civilisation[1]. Sauf que Freud esquisse une éthique du sujet qui réside moins dans l’aspiration à atteindre le bonheur que sur le fondement pulsionnel de l’être parlant. La civilisation est une économie libidinale dont la pulsion de mort est le ressort. Pour l’être humain, faire quelque chose de son corps se joue aussi dans la façon dont il parvient, ou pas, à habiter le langage et dans sa façon de se lier au discours de son temps et de s’entretenir avec la subjectivité de son époque. La spécificité du discours du droit est d’encadrer et de sanctionner le régime pulsionnel lorsqu’un individu enfreint la loi.
La divergence entre psychanalyse et droit est alors dans la manière de lire la subjectivité, celle du sujet aussi bien que celle de l’époque. Le sujet du droit varie selon l’évolution de la doctrine juridique. L’actualité des prétoires alimente régulièrement ce qui fait point d’achoppement dans la qualification de la peine pour le sujet du droit. Le Code pénal y définit la responsabilité pénale en termes d’aliénation, ou pas, du discernement de l’individu. C’est apprécié selon la loi à l’aune de considérations toujours poreuses à l’époque sur le sens à donner à l’intention de commettre un acte criminel.
Le sujet du droit est sujet de langage et de fictions qui changent au fil du temps. À ce propos, Question d’École[2] dont un des thèmes portait sur « la dépathologisation de la clinique » a pu souligner la puissance actuelle de l’État de droit fondé sur : « Je dis donc je suis » pour reprendre la formulation de Jacques-Alain Miller, c’est-à-dire sur l’abolition du sujet de l’inconscient.
Le sujet de l’inconscient, tout autant fait de langage, se distingue pourtant du sujet du droit. En effet, il ne définit ni l’individu qui intéresse le droit, ni le moi qui intéresse la psychologie du droit. Lacan le note à propos du passage à l’acte dans son ouvrage De la psychose paranoïaque dans ses rapports à la personnalité en disant que « La doctrine classique […] en fait un acte psychologique qui, à partir des tendances propres à un certain type de personnalité, fausseté du jugement, hostilité à l’entourage, s’accomplit selon des mécanismes normaux »[3]. Lacan poursuit en soulignant que la causalité psychique n’est pas homogène à celle de la personnalité. Dès lors, pour le sujet, il y a lieu de prendre repère sur la jouissance que l’on peut toujours interroger dans l’après-coup comme a pu aussi le faire valoir Francesca Biagi-Chai[4] lors de Question d’École.
Les textes de Nathalie Jaudel et de Bruno Alivon qui ont participé à la Journée de l’ACF en Aquitaine[5] intitulée Sujet de l’inconscient, sujet de droit – J’ai le droit !… et alors ? nous apportent, dans cet Hebdo-blog, leur éclairage respectif sur ce thème tant du côté du sujet du droit que de celui de l’inconscient.
Martine Versel
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[1] Freud S., Le Malaise dans la civilisation, Paris, Points, 2010.
[2] La journée Question d’École s’est tenue le 22 janvier 2022 en matinée sur le thème de la passe dans l’École et l’après-midi sur la dépathologisation de la clinique. Les textes paraîtront dans le numéro 132 de Quarto, en juillet 2022.
[3] Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975, p. 207-208.
[4] Biagi-Chai F., « La dépathologisation lacanienne et l’autre », Question d’École 2022.
[5] La Journée de l’ACF en Aquitaine a eu lieu le 11 décembre 2021 à Bordeaux.