Nous assistons au développement exponentiel du numérique. C’est un fait. Le progrès de la science ne s’arrêtera pas. Durant les années 1950, lors des premiers débats sur les tests entre l’homme et la machine, Lacan plaçait le corps au centre de la scène signalant que ce qui rend un langage humain dans tout échange verbal est l’expérience imaginaire : « Nous sommes des êtres incarnés, et nous pensons toujours par quelque truchement imaginaire, qui arrête, stoppe, embrouille la médiation symbolique. » Lacan poursuit et interroge : « il s’agit […] de savoir si l’humain […] est si humain que ça »1.
Ainsi, le film Her de Spike Jonze, sorti en 2013, mettait en scène un homme tombant amoureux d’une machine qui lui parlait avec la voix de Scarlett Johansson dont la voix, parfaitement adaptée à son utilisateur, avait été conçue à partir d’un système d’exploitation OS1. Aujourd’hui, on peut, en quinze secondes, cloner gratuitement en ligne la voix de quelqu’un grâce aux générateurs IA (Chat GPT).
Les hommes impliquent de plus en plus leur propre corps dans des expériences cybernétiques. En janvier 2024, Elon Musk a procédé au premier implant cérébral sur un patient humain pour lui permettre de contrôler son ordinateur. Ces puces de la taille d’une pièce de monnaie sont appelées ICM (interface cerveau-machine).
Le projet technologique d’une humanité améliorée, post-sexuelle et qui délogerait les genres attribués aux hommes et aux femmes avec une assistance biomédicale dans la reproduction, est déjà sur les marchés. La robotique, les cyborgs combinant le corps humain avec des prothèses ou des artéfacts technologiques améliorant les capacités physiques et cognitives, nourrissent le programme des transhumanistes dont le but est de prolonger la vie par le contrôle du vieillissement cellulaire avec l’ingénierie génétique jusqu’à envisager de vaincre la mort. Ce n’est plus de la science-fiction.
La promesse est intense, le péril est grand. Des problèmes éthiques se posent. La survie de la planète et de l’humanité pourrait être mise en jeu. Ces systèmes, très coûteux, exigent d’immenses quantités d’énergie. Ils sont mal contrôlés et envahissent nos écrans de fake et de propagande impactant notre subjectivité.
Que peut la psychanalyse ? Lacan invite les analystes à « rejoindre à son horizon la subjectivité de [leur] époque2 ». Quel contrepoids devant l’immense risque de dévastation qui accompagne le développement exponentiel que connaissent la science et la technologie grâce à l’IA ? C’est ce que nous allons lire dans ce numéro dédié à la psychanalyse face à cette avancée des sciences et de l’IA avec les contributions de François Ansermet, Miquel Bassols, Quentin Dumoulin et le texte éclairant d’Éric Laurent en réponse aux questions d’Hebdo-Blog.
Marga Auré
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 367.
[2] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.