Le 28 mai 2015 a été organisée avec l’Association Franco-Mexicaine de Psychanalyse LaZo(s), la NEL-Mexico et l’ACF-IDF, la première rencontre à Paris autour de l’histoire de la psychanalyse au Mexique. Accueillis dans la très belle salle de l’Université de Chicago à Paris, les fils rouges de la soirée étaient : Ana Vigano, Liliana Salazar, Véronique Outrebon et Miguel Sierra.
Mariana Alba de Luna nous fait vivre cette réflexion qui ne fait que commencer…
Cette rencontre, ouverte à toute personne intéressée, eut le mérite de voir réunis les acteurs de notre temps qui écrivent l’histoire et la questionnent. Ceux qui écrivent l’histoire, c’est bien connu, ce sont les étudiants. Étudiants d’un jour, d’une période, étudiants toujours. Nous sommes donc venus tous en étudiants questionner les origines de la psychanalyse dans ce pays si surréaliste qu’est le Mexique. Des étudiants doctorants en psychologie, psychanalyse et histoire ont répondu à notre invitation, accompagnés des étudiants de la psychanalyse que nous sommes tous quand le savoir nous questionne et que nous le laissons nous questionner.
Elena Monges, historienne mexicaine, nous a présenté une partie de sa recherche autour du premier manicomio d’État (Maison des fous) : La Castañeda. Construction commandée et inaugurée en 1910 par le président mexicain Porfirio Diaz qui voulait faire de son pays une autre France. Nous avons constaté que derrière les belles pierres édifiées s’édifiait également une ferme volonté de ségrégation et d’ordre moral imposé afin de mettre hors de vue ceux qui dérangent. La division de la population entre folie et raison, valides et déviants était à l’œuvre. Le corps des femmes prostituées enfermées avait été utilisé pour tenter de cataloguer la folie. L’imaginaire collectif, qui construisit ce lieu à l’image de l’hôpital d’Auxerre et autres hôpitaux français visités par une commission mexicaine d’experts dans ces années-là, continue d’être en grande partie le ciment et le socle de l’orientation hygiéniste qui, de nos jours, plane encore comme un fantôme dans les hôpitaux psychiatriques mexicains. Autre détail : voulant protéger la population d’une possible contagion, les fous avaient été placés derrière les murs, loin de la métropole. Avec le temps, les habitants des bourgades avoisinantes se sont mis à régler leur vie quotidienne au rythme des sonneries hebdomadaires de La Castañeda ! En se nouant au temps des villageois, le temps des fous était ainsi venu régler leur normalité supposée. Le leurre de la division voulue par le grand Autre échoua, laissant la fluidité psychique faire son œuvre.
Carolina Becerril a fait ses études dans les années soixante dix en lien avec des associations psychanalytiques naissantes dans la ville de Mexico. Des médecins psychiatres étaient de retour des pays où ils étaient eux-mêmes allés chercher une formation psychanalytique (Angleterre, Argentine, USA et France). Ils imposèrent à leurs analysantes désireuses de s’installer le veto de l’usage du divan et du mot psychanalyse. Ils les nommèrent Las Viudas de Freud (les veuves de Freud). La reconnaissance ne pouvait venir pour eux que de leur croyance dans les préceptes de l’IPA, qui réglementait à cette époque leurs querelles internes et frustrations collectives de façon très hiérarchique. Celle-ci comptabilisait l’obtention du titre de psychanalyste en donnant des « garanties » de cette nomination en fonction du nombre de séances et des supervisions suivies par le candidat, et non pas sur l’expérience et résultat d’une analyse personnelle. Ana Viganó, notre invitée, nous fit remarquer que pour eux, dans cette nomination outrageuse, se cachait probablement une mise à mort déjà accomplie de Freud.
Carlos Gomez Camarena, doctorant à Paris VII, aborda avec beaucoup de sagacité la façon dont, au Mexique, le monde de l’art et du théâtre avait été aussi un des premiers lieux d’accueil de la psychanalyse et de ses effets. Il nous invita à revisiter l’œuvre théâtrale Feliz nuevo siglo, Doktor Freud, de Sabina Berman (d’ailleurs fille d’une des psychanalystes dites Viuda de Freud) autour du cas Dora, grâce à l’apport de Bruno Bosteels, critique littéraire. B. Boostels affirme qu’aucune histoire de la psychanalyse en Amérique Latine ne peut être complète sans prendre en compte les développements créatifs, artistiques ou les fictions qui vont parfois plus loin que les dispositifs cliniques et institutionnels. Avec Lacan on peut affirmer en effet que l’artiste ici ou ailleurs, précède le psychanalyste.
Dans les trois exposés, nous avons pu extraire un trait commun, celui de la féminité, qui depuis l’origine de la psychanalyse reste incontournable. Lacan nous propose une orientation plus serrée de ce qui pour Freud était resté un continent noir, et qui pour nous maintenant a à voir plus précisément avec la position de l’analyste en fin d’analyse. Nous avons pu constater aussi que certains traits de l’histoire des institutions psychiatriques font dangereusement retour dans l’actualité de notre siècle où les apports de Freud et Lacan voudraient être encore effacés à la faveur de classifications aveugles et d’un « pour tous » de la norme.
Cette première rencontre nous a ouvert un passionnant chemin de savoir et de recherche de filiation théorique qui va se poursuivre. Il se veut itinérant entre Paris, Mexico et Barcelone. Nous continuerons donc à nous interroger et à cheminer. La prochaine rencontre aura lieu le 15 janvier à l’Hôpital Saint-Anne.