Une PUBLICATION de l'ECF, des ACF et des CPCT

Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 245

Du lapsus au mot d’esprit

image_pdfimage_print

Dans ce texte, paru sous le titre « La passion du psychanalyste », Pierre Naveau résume en une phrase l’enjeu éthique de la fin d’une analyse : « entendre autrement le drame subjectif qui a été le sien ». Autre-ment veut dire que là où le mot a défailli pour nommer le coup de la jouissance dans le corps, le sujet tricote des fictions. Hystoriser est un mélange de drame et de comédie pour donner du sens à la rencontre avec la faille. La traversée d’une analyse menée jusqu’à son terme est celle d’une réduction jusqu’à trouver le bon mot (d’esprit) et ainsi pouvoir, enfin, rire.

Extrait du texte « La passion du psychanalyste. À propos de l’effet-de-formation en psychanalyse », initialement paru dans La Cause freudienne, n°50, février 2002, p. 38-43.

La formation du psychanalyste consonne avec la formation de l’inconscient. S’il est vrai que la formation du psychanalyste suppose l’acte à travers lequel s’effectue le passage de l’analysant à l’analyste, il convient alors, comme cela a déjà été souligné, de mettre l’accent sur la frontière entre l’inconscient et l’acte et sur la façon dont cette frontière peut être traversée dans un sens ou dans l’autre.

La formation du psychanalyste n’a rien à faire avec la forme et l’esthétique. Elle est liée à la faille et à l’éthique. La formation du psychanalyste tient à l’histoire d’une faille – la faille entre vérité et savoir [1]. Un psychanalyste a d’abord été un analysant, c’est-à-dire un sujet qui, à la fin de l’analyse, peut être identifié à un symptôme, autrement dit à un lapsus, saisissable, comme l’a indiqué Lacan dans son Séminaire sur Joyce et le nœud de 1975-1976 dans la dimension de la nodalité entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. L’acte d’énonciation, qui s’accomplit au cours de la passe, entraîne la transformation de ce lapsus en un mot d’esprit. Cela suppose qu’un tiers ait pris acte d’une telle mutation, c’est-à-dire que le mot d’esprit ait été entendu. Exemple d’un aperçu sur ce dont il s’agit dans la faille de l’histoire d’un sujet : « Ah, zut alors, c’était donc ça ! La voix de mon père, ce n’était donc pas ce que je croyais. Ce n’était pas la voix de la séduction, mais la voix du surmoi ».

Dans la passe, la mutation du lapsus en mot d’esprit s’accomplit par le biais du récit d’une histoire. Mais le mot d’hystorisation, inventé par Lacan [2], implique que le mot histoire se divise entre tragédie et comédie, qu’il ne soit pas entendu de la même façon selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre de la division. S’il décide de passer à l’analyste, l’effort de l’analysant, à la fin de son analyse, est d’entendre autrement le drame subjectif qui a été le sien, c’est-à-dire d’entendre une tragédie avec une autre oreille – comme une comédie.

Une transformation advient ainsi. D’un côté, au cours de l’analyse, l’histoire que l’on raconte consiste dans la trame d’événements contingents et traumatiques, comiques parfois, tragiques le plus souvent. D’un autre côté, l’histoire que l’on raconte à l’occasion de l’expérience de la passe tend à faire part d’un bon mot. Une réduction s’est ainsi opérée – du roman à la nouvelle, a dit, un jour, Éric Laurent, rapportant un propos de Lacan. Un virage s’effectue alors de l’histoire dans sa dimension tragique à l’histoire dans sa dimension comique. Comme le mot d’hystorisation le fait entendre, l’histoire est une fiction – c’est quelque chose que l’on invente. Mais qu’elle atteigne au bon mot et il apparaît alors qu’une telle histoire, eh bien, l’on n’en fait pas deux comme ça, que, vraiment, une chose pareille, ça ne s’invente pas.

Conséquence – le passage du lapsus au Witz est un effet-de-formation inaugural, qui se saisit dans la passe. L’on se trouve alors au bord de l’arête qui sépare le versant de l’inconscient et le versant de l’acte. Cet effet de formation inaugural implique un affect, celui qui correspond au sentiment que, de cette histoire que l’on a racontée, il ne reste plus qu’à en rire.

 

[1] Cf. l’évocation par Lacan du « retour de la vérité comme tel dans la faille d’un savoir » (« Du sujet enfin en question », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 234).

[2] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.

Articles associés

En continuant à utiliser le site, vous acceptez l’utilisation des cookies. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer