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Édito, L'Hebdo-Blog 152

« Dieu est le Mal »

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Dans le cadre des enseignements de l’ECF, Hervé Castanet fera cette année cours sous le titre : « De la perversion à la père-version ». Il nous en livre ici l’argument, et a accepté de répondre à trois de nos questions.

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« La perversion est un terme contestable […] Cette catégorie tend à être abandonnée »[1], remarque Jacques-Alain Miller. À partir de la fin de l’enseignement de Lacan, qui fait voler en éclats le Nom-du-Père, il ne mise plus, comme Freud, sur Dieu. Nous montrerons la justesse de l’affirmation de J.-A. Miller et les conséquences qui s’en déduisent pour la clinique psychanalytique d’aujourd’hui. La page 150 du Séminaire de Lacan Le sinthome [2], nous servira de boussole pour cette démonstration. Donnons déjà cette indication : en construisant le terme de père-version (version vers le père), la clinique structurale ne tient plus et le symbolique n’est plus la seule instance de nomination. La perversion est congruente avec la valorisation du Nom-du-Père et de l’Œdipe. La père-version, elle, est du temps de l’Autre qui n’existe et de l’au-delà de l’Œdipe. La perversion sépare symptôme et fantasme, la père-version les noue – telle est la clinique du sinthome.

Nous serons amenés, pour fonder cette démonstration, à faire retour à Freud et au premier Lacan.

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Hebdo-blog : La perversion a affaire à la norme, qu’elle soit indexée comme déviance, ou qu’elle fasse miroiter un savoir-faire quant au sexe. La perversion, une question politique ?

Hervé Castanet : Une question politique ? Je privilégie un seul angle : Dieu y est impliqué. Comment ? La référence à Dieu est centrale dans « Kant avec Sade »[3] et dans Le Séminaire L’angoisse[4]. Chez Sade, la destruction généralisée, l’apologie systéma­tique du mal, la valo­risation universalisante du crime ne cessent, non sans pa­radoxe à première ap­proche, d’affirmer la place et la présence de l’Autre di­vin. Sans Dieu, le dispositif sadien s’é­croule. « L’Être su­prême est restauré dans le Maléfice »[5] – Dieu est le Mal. Cette remarque à elle seule est une ba­lise suffisante pour s’orienter dans toute lo­gique fantasmatique per­verse. Comment s’étonner que tel ou tel sujet per­vers soit moraliste ? N’est-il pas celui qui fait de son rituel la mise en acte de sa soumis­sion à la loi mo­rale en tant qu’elle doit évacuer tout ce qui l’encombre – le « pathologique » kantien ?

H-B : Le sujet pervers entretient une affinité avec l’idée qu’il y ait un grand secret quant au sexe, là où sa frénésie dévoile précisément l’inconsistance de l’Autre. Qu’éclaire cette clinique quant à la jouissance ?

H. C. : L’erreur du pervers relève de la logique et tient à sa croyance abso­lue que l’Autre est in­com­plet – ce qui ouvre imaginairement à l’inventaire des moyens pour le compléter – et que par-là, l’incompatibilité corps/jouissance est contingente. Dans « Kant avec Sade », la jouissance du Souverain Bien s’avère impossible – seule la transgression tente de l’atteindre. Dans D’un Autre à l’autre, le plus-de-jouir signe « la prise de corps de la perte entropique »[6] et oppose à la transgression la répétition de jouissance. Dans le premiers cas, le pervers bute sur l’interdit de la loi. Dans le second, pris dans le mouvement brownien, il n’obtient que des « lichettes »[7] de jouissance. Ces deux paradigmes lacaniens rendent compte, pour des raisons différentes, de l’échec du pervers dans son but.

H-B : Avec l’enfant pervers polymorphe, Freud inscrit la perversion comme nécessaire. Lacan met en valeur, via la père-version, la contingence du Père, soit du désir d’un homme pour une femme. Que dire de cette tension ?

H. C. : Comment s’orienter avec les repères cliniques de la sexuation ? Une piste : le XXIe siècle, comme la fin du XXe, voit le Nom-du-Père (et ses corrélats : l’Œdipe, l’Autre, la Loi, le surmoi, la castration…) perdre de ses prérogatives pour assurer un nouvel ordre amoureux et sexuel. Certains s’en désolent. D’autres s’essayent aux bricolages pour y suppléer. Le désordre dans l’amour fait-il série ? S’il n’y a pas d’équivalence, alors quelles inventions et réinventions pour les parlêtres quant à la rencontre amoureuse ? En ne misant plus sur le père, soit sur Dieu, le concept de père-version permet de construire un appareil conceptuel et clinique qui opte pour le singulier et non pour l’universel.

 

[1] Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, n° 94-95, janvier 2009, p. 41.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2005.

[3] Lacan J., « Kant avec Sade », Écrits, Seuil, Paris, 1966.

[4] L’angoisse dont il est question dans la visée du pervers, in fine, est celle de Dieu ! Lacan insiste : « Dieu s’étale partout dans le texte de Sade. Celui-ci ne peut avancer d’un pas dans la référence à l’Être‑suprême‑en‑méchanceté sans qu’il n’apparaisse […] que c’est de Dieu qu’il s’agit. Il se donne, lui, un mal fou, considérable, épuisant jusqu’à manquer son but, pour réali­ser ce que, Dieu merci, c’est le cas de le dire, Sade nous épargne d’a­voir à recons­truire car il l’articule comme tel à savoir – réaliser la jouissance de Dieu », Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 194.

[5] Lacan J., « Kant avec Sade », op. cit., p. 790.

[6] Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne, n° 43, Paris, Navarin/Seuil, octobre 1999, p. 22.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 124 : « […] c’est la jouissance, tout simplement en tant qu’elle est interdite, interdite dans son fond. On en prend des lichettes, de la jouissance, mais pour ce qui est d’aller jusqu’au bout, je vous ai déjà dit comment cela s’incarne – pas besoin de réagiter les fantasmes mortifères. »

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