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« Le peu de réalité que le désir soutient… »

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« Le peu de réalité que le désir soutient… »[1]

Le 10 mars prochain aura lieu la première Journée du Centre d’Études et de Recherche sur l’Autisme (CERA), créé dans les suites de la funeste initiative avortée du député Fasquelle.

Cette Journée entend mettre l’accent sur l’accueil et l’accompagnement du sujet autiste, accent qui rappelle la position du praticien orienté par la psychanalyse : au côté du sujet, sachant se faire dupe d’un réel – car il y en a un –, celui de la vie. Cela nécessite de lever sans relâche la chape de plomb que représente le sens commun : entre délire universel et débilité mentale. De ce point de vue, cette bataille n’est pas tant contre que pour. Pour libérer quelque chose de la singularité d’un sujet, pour déségréguer, désidentifier. Dans cette question de l’autisme, devenue un véritable enjeu de société, il y a donc, une fois de plus, à prendre position pour jouer notre rôle dans la direction de la subjectivité.

Car comme le rappelle J.-A. Miller, « la seule voie qui s’ouvre au-delà, c’est pour le parlêtre de se faire dupe d’un réel, c’est-à-dire de monter un discours où les semblants coincent un réel, un réel auquel croire sans y adhérer, un réel qui n’a pas de sens, indifférent au sens, et qui ne peut être autre que ce qu’il est. La débilité, c’est au contraire la duperie du possible. Être dupe d’un réel – ce que je vante –, c’est la seule lucidité qui est ouverte au corps parlant pour s’orienter. »[2] C’est donc la manière dont on peut faire une place au « pas de sens », très présent dans la clinique de l’autisme, plutôt que le danger du tout est possible à quoi entraine la référence à la méthode pour tous.

Il m’est venu que ce dont témoignent des parents de sujets autistes sous l’accent du « parcours du combattant » relevait de ce à quoi ils se heurtent : au sens commun, aux aprioris, au pour tous, alors même qu’ils tentent de trouver un lieu pour la singularité que recèle leur enfant, pour leur singularité de parent. Bref, il y a là le mur du langage dont parle Lacan. J’y suis sensible, comme d’autres, car ce mur du langage, on s’y heurte tout autant : faire une analyse s’est apprendre comment le percer.

Si Lacan a pu dire qu’aux sujets autistes, il y avait quelque chose à leur dire, c’est qu’il les considérait inclus, au même titre que chacun, dans l’expérience de parole qui caractérise les êtres humains. C’est toujours une parole, le dynamisme d’un désir, qui perce ce mur du langage. Avec le sujet autiste, cette expérience est délicate et présente des conditions très précises.

Le jeune Antonin dont j’ai déjà parlé m’a appris beaucoup sur ce que parler veut dire. Avant que je le rencontre, Antonin ne faisait que se balancer dans sa salle de vie. La première fois que je lui ai parlé et l’ai emmené en séance, cela a eu des effets inattendus : Antonin ne se balançait plus pendant des heures dans un placard en se mordillant jusqu’au sang un de ses doigts, mais galopait à présent dans tous les sens en hurlant. On entendait enfin le son de sa voix, une manifestation de sa part. Une conversation avec son auxiliaire de puériculture conclut à un progrès : plus d’automutilation, mais une expression à la place.

Son auxiliaire de puériculture déployait des trésors d’inventions pour tous les moments de sa vie ; rien ne faisait routine pour Antonin. Elle inventait avec lui et tous ceux qui s’en occupaient, sur mesure et sans le recours au sens commun, une façon de se lever, se laver, se nourrir, se coucher, car elle avait appris à reconnaître ses moments de détresse angoissée. Elle avait découvert que la parole directe accentuait l’angoisse ; que la cantonade doublait le bain d’eau d’un bain de langage. Lorsque son auxiliaire disait, par exemple : « À table ! », Antonin s’installait devant son assiette pour un repas qui promettait d’être épique. Quand la même auxiliaire s’adressait à lui – « Tu viens manger ? » -, impliquant la structure d’un dialogue, alors Antonin restait sourd. Dans l’ambiance pédiatrique de la pouponnière, cela lui valut un nombre impressionnant d’audiogrammes… tous négatifs.

Dans les séances, Antonin ne parlait pratiquement pas sauf pour dire l’essentiel ; je parlais peu, et souvent, moi aussi, à la cantonade. J’ai appris peu à peu à repérer qu’il n’appréciait guère les paroles inutiles : un Comment tu vas aujourd’hui ? par exemple, pouvait déclencher un début de crise. Je devins un auditeur silencieux le laissant parler. Alors surgit rapidement une activité de parole que l’on peut qualifier de prosodie : un phrasé très élaboré, tant dans sa durée que dans ses moments de scansions faits de pauses et de reprises, que dans ses variations d’intonations. Antonin parlait sans que l’unité discrète du mot n’apparaisse dans ce premier temps. Il se passait aussi mille choses dans les séances autour de menus objets, laissant apercevoir peu à peu ses goûts, c’est-à-dire ses refus et ses consentements.

Un dynamisme libidinal – c’est-à-dire la vie –, apparaissait au-delà de la stéréotypie. L’accueil et l’accompagnement d’Antonin ont eu pour condition de savoir que lui comme moi partagions la condition d’être parlant.

[1] Lacan J. « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 279.

[2] Miller J-A., « L’inconscient et le corps parlant », consultable en ligne .

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