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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 275, Édito

Edito : Crise climatique et psychanalyse

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De multiples actions dénoncent l’inaction face à l’urgence climatique. Celles de Dernière rénovation appellent à entrer en résistance par des opérations coups de poing. Récemment, une de ses jeunes militantes s’est attaché le cou au filet du court de tennis lors de la demi-finale homme du tournoi de Roland-Garros. Elle affichait sur son tee-shirt un message en anglais : Il nous reste 1028 jours. L’image a fait le tour du monde.

En s’étranglant ainsi à la face du monde, la jeune militante dont le prénom Alizée évoque un vent doux et régulier, nous renvoie à une vérité. Elle l’a mise en scène à travers ce simulacre d’étranglement. Étranglement : c’est ce que prédisait déjà Lacan en 1974, à Milan, comme effet du réel de la science.

Ce réel de la science est différent de celui dont on parle en psychanalyse. Celui de la science est précisément « au bout des équations mathématiques » [1] comme a pu le dire Serge Cottet. Il se traduit matériellement dans la prolifération d’objets technologiques. C’est ce réel-là qui « nous […] écrase. Ça fait en réalité plus que ça : ça nous empêche de respirer, ça nous étrangle. » [2] dit alors Lacan.

Dans une interview accordée au Monde, cette jeune militante livre le sens de son action : « C’était une action de désespoir. Je voulais détourner le regard des spectateurs vers la réalité : nous allons tous mourir si nous n’agissons pas face à la crise climatique. Il n’y aura plus de tennis dans dix ans. » [3] 

Il y a déjà fort longtemps qu’on pressent l’impact de la nature sur l’être humain. De plus, depuis la nuit des temps, la nature a toujours été source de souffrances. D’abord redoutée parce qu’hostile, voire terrible, on n’eut de cesse d’en asservir la force imprévisible. À la fin du XIXe siècle, constatant les nuisances de la révolution industrielle en pleine expansion, on inventa la protection environnementale, en sanctuarisant des espaces, préservant ainsi une nature plus imaginaire que réelle, idéalement sauvage. Ce concept dit de wilderness, cette vision romantique d’une nature intouchée par la trace humaine fut un leurre mais apaisa sans doute temporairement l’angoisse de l’homme. Angoisse fondée sur un impossible, cette butée à concevoir ce qui « expose la planète à [l’]obscur désir [de l’homme] » [4] à savoir un désir d’en finir et d’en finir avec ladite nature. L’anthropocène en est le nom contemporain.

Puis le wilderness a cédé le pas, dès les années 1990, au « capital nature ». Expression dénotant l’alliance du discours de la science et du discours capitaliste, fondé sur une analogie avec la théorie financière. Ainsi, par exemple, afin de financer ce qui est qualifié de politique d’atténuation de la crise climatique, les économistes établissent la cote de la « valeur carbone » en ces temps nouveaux où « la qualité climatique [n’est plus] considérée […] comme un bien libre » [5].

La psychanalyse ne se détourne ni du réel de la science ni du réel auquel a à faire chaque être parlant. Qu’il advienne dans les suites d’une catastrophe causée par le dérèglement climatique ou qu’il soit causé par la menace de la sixième extinction. C’est ce dont témoignent, dans ce numéro, les textes de Patricia Bosquin-Caroz et de Geert Hoornaert établis à partir de leur intervention lors d’une soirée organisée par l’antenne liégeoise du CPCT de Bruxelles intitulée « Climat et trauma » [6].

Martine Versel

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[1] Cottet S., « En ligne avec Serge Cottet », La Cause du désir, n°84, 2013, p. 16.

[2] Lacan J., « Alla ‘Scuola freudiana’ », le 30 mars 1974, paru dans l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamendra, 1978, p. 106. Cité par Hoornaert G., « Malaise dans l’alèthosphère », La Cause du désir, n°106, juin 2020, p. 153.

[3] Article d’Audrey Garric, « Climat : après Roland-Garros, la campagne Dernière rénovation veut multiplier les actions coups de poing », Le Monde, 11 juin 2022, disponible en ligne.

[4] Hoornaert G., « Malaise dans l’alèthosphère », La Cause du désir, op. cit., p. 156.

[5] Quinet A., « Quelle valeur donner à l’action pour le climat ? », Économie et statistique / Economics and Statistics, n°510-511-512, février 2019, p. 172, disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4253053/510_511_512_Quinet_FR.pdf

[6] Cette soirée a eu lieu le 1er juin 2022.

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