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Le corps à soi-même méconnu

Par Martine Versel
31 mai 2020
« Cet événement de corps qu’est la jouissance » *
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Mon, ton, son : ce sont les déclinaisons langagières d’avoir un corps, ce que le sens commun donne comme une évidence dans le champ sensible des sujets. La multiplication des pratiques actuelles qui enjoignent chacun à écouter son corps en sont des versions contemporaines. La psychanalyse a fait vaciller ce credo coriace. C’est avec le Séminaire Le Sinthome que Lacan déclare qu’on ne s’y retrouve pas avec le corps et c’est tant mieux, avertit-il. On y délaisse la pure clarté du mentis enim oculi spinozien – les yeux de l’âme –, cet éblouissement que l’on rencontre au début d’une analyse dans une apothéose du signifiant, du sujet ponctuel et évanouissant. On quitte aussi les rivages familiers de l’imaginaire qui soutenait l’image du corps unifié au prix de la castration. Lacan a montré par ailleurs qu’elle répondait parfaitement aux principes euclidiens du plan. « Captivés au départ par une géométrie » [1], c’est un corps qui s’enlève sur fond d’un rêve de toute éternité. À partir du Séminaire suivant, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre » [2], J.-A. Miller extrait le constat suivant : « à savoir que la géométrie, c’est pour les anges, c’est-à-dire pour ce qui n’a pas de corps, pour l’âme sans relation avec l’existence du corps » [3]. L’existence du corps ne s’équivaut ni à l’image spéculaire, ni à la représentation sphérique, ce corps « comparable au sac » [4] comme a pu le dire sans ambages Lacan.

Cependant, c’est avec les yeux de l’âme qu’on pourrait être tenté de lire cette phrase du Séminaire XXIII : « Le parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a. »[5] On pourrait y faire éclore le foisonnement narcissique et idolâtre de l’image du corps. Mais de quel corps parle-t-on ? Ou encore, comme Lacan le souligne quelques pages plus haut, on pourrait rester dans « le ronron des vérités […] premières »[6]. Celles qui renvoient, non sans ironie, à un fondement éprouvé de la psychanalyse doté à certains égards de la solidité d’une démonstration cartésienne, celle d’une vérité arrimée, depuis Freud, au champ de l’expérience analytique. Elle s’étaye d’une référence, d’« une gravitation à l’acte sexuel »[7], à savoir cette pensée de l’être qui adore un autre corps entre méprise et mépris, sans savoir de surcroit ce que ces corps-là ont à faire.

Or, lire le « parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a », c’est lire une nouvelle vérité première.
D’abord sur le mode d’un franchissement : « il ne faut pas penser sans le corps » [8], sauf à le faire de la bonne façon, dit J.-A. Miller. Mais aussi sur le mode d’une radicalité que J.-A. Miller nous permet de saisir dans son cours « Pièces détachées ». En effet, Lacan fait valoir dans cette phrase la dimension première du rapport corporel sur celui de l’inexistence de rapport au niveau sexuel. De plus, ce rapport corporel n’est pas un rapport à « ce qu’il y a dans le corps, c’est un non-savoir » [9] qui signe la méconnaissance du corps qu’on a. Lacan fait jouer la réversion du parlêtre : vit de l’être / être vide affine au trou, trauma foncier. « Cet éclairage lie le narcissisme de l’adoration du corps comme surface d’inscription du trouma » [10], précise Éric Laurent. L’expérience analytique est l’expérience d’une longue exfoliation pour entrevoir quoi ? Un bric-à-brac : ce comble de la méconnaissance du corps alors même que le rapport corporel est la seule consistance du parlêtre. L’analyse peut permettre d’opérer une infraction à la croyance – cette vie de l’être – et à l’adoration du corps – avers du « parlêtre [qui] adore son corps parce qu’il croit qu’il l’a ». Il s’agit d’un consentement à un corps dont le nouage, la consistance, dépêtrés de l’idée d’éternité, mettent l’accent sur l’instance de vie.

 

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 28.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », inédit.

[3] Miller J.-A., « Le rêve de réveil », La Cause du désir, n°104, mai 2020, p. 17.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 28.

[5] Ibid., p. 66.

[6] Ibid., p. 64.

[7] Ibid.

[8] Miller J.-A, « Le rêve de réveil », op. cit., p. 17.

[9] Miller J.-A, « L’orientation lacanienne. Pièces détachées », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 1er juin 2005, inédit.

[10] Laurent É., L’Envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance, Paris, Navarin, 2016, p. 95.

Numéro : L’Hebdo-Blog 206
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