Le CPCT-Paris est un lieu de consultations qui reçoit des patients tout venant, c’est un lieu clinique qui, étant en prise directe avec les symptômes de notre temps, est un observatoire privilégié des changements du monde dans lequel nous vivons. À ce titre, le CPCT produit un savoir qu’il tire de sa pratique. Il transmet celui-ci tout au long de l’année lors de divers évènements. Cette année, dans la mouvance de l’AMP et de la NLS, le CPCT-Paris s’est mis au travail sur la question du transfert.
Formes de transfert au CPCT *
« Formes » au pluriel, car si les formes qu’il emprunte sont multiples, le transfert, lui est un seul, car il met en jeu des éléments structuraux – la mise en acte de l’inconscient, l’articulation du sujet supposé savoir, etc. La clinique du CPCT permet d’extraire les deux dimensions que le transfert mobilise : symbolique et fantasmatique. Le premier registre favorise le déploiement de la chaîne signifiante, avec la possibilité d’« effets retour » – recevoir son message sous une forme inversée [1] – et, parfois, l’isolement d’un « signifiant du transfert » [2]. Enfin, le registre réel met en jeu un objet pulsionnel dans la relation transférentielle et donne un aperçu de la position fantasmatique. L’actualisation de ces deux dimensions dans l’espace de la séance permet de saisir la place à laquelle nous met le sujet. Par exemple, « vous êtes trop intelligente ! », sous ce signifiant « intelligente » la jeune patiente loge chez l’analyste le complément d’être qui lui manque. L’aperçu de sa position fantasmatique qui met en jeu le regard, permettra au praticien de se situer pour répondre aux stratégies de dérobade de ce sujet.
Maniement du transfert *
L’étude des traitements menés au CPCT montre combien c’est « le traitement de la jouissance qui est aux commandes et [qui] donne sa direction à la cure et donc au maniement du transfert ». C’est, par exemple, un dire comme « vous vous faites expulser » du praticien qui s’entend répondre, après l’étonnement du patient : « Vous avez tapé dans le mille ! » [3]. Après coup, ce dire montre la portée d’un acte qui a eu un effet de nomination et qui scelle une accroche transférentielle au début du traitement. D’autres pourront suivre.
La fin du traitement sous transfert *
Au terme des seize séances, parfois avant, le traitement se boucle. La temporalité spécifique du CPCT permet de réfléchir aux différentes formes que le transfert prend pour chaque sujet confronté à ce dispositif limité. Un homme vient parce qu’un enfant qu’il n’a pas reconnu à sa naissance demande à le rencontrer des années après. En quelques séances, il pourra quitter le CPCT en prenant acte de sa division subjective, à savoir qu’il ne sait pas encore comment s’y prendre et qu’il n’y a aucun « mode d’emploi » préalable. En revanche, son désir de répondre à la demande de l’enfant, dégagé des idéaux du « bon samaritain » et « du père parfait » [4], fait dorénavant boussole, la question du père symbolique en ligne de mire.
Un autre patient, pour qui l’Autre méchant rôde à peu près partout dans le lien social, et n’a que la musique comme refuge, après « le retour d’un réel lors d’un conflit professionnel » va prendre acte que la TCC avec le psychologue du travail lui convient moins bien qu’un traitement orienté par « la psychanalyse » [5] et décidera de poursuivre un travail analytique après les seize séances au CPCT.
Dans son dernier enseignement, Lacan nous invite à penser autrement le transfert dans un au‑delà du sujet supposé savoir vers la production d’un sujet « comme sachant » [6]. Le signifiant « transfert » s’efface avec la fin du règne du symbolique. La perspective du sinthome appelle davantage l’invention de l’analysant face aux impasses du réel, c’est une mise en exergue de la réponse, de la solution du parlêtre [7]. Jacques-Alain Miller relève cet aspect du lieu analytique en disant qu’il n’est pas un lieu d’écoute mais un lieu de réponse [8]. C’est ainsi qu’une patiente du CPCT reçoit d’une praticienne la scansion « il vous faut l’utile et l’excellence » [9] sur lequel elle pourra s’appuyer pour reprendre vie. Face à l’effacement du concept de transfert dans le dernier Lacan, qui met l’accent sur les solutions du sujet, on a à situer l’urgence subjective à quoi préside la demande du sujet envers le CPCT. Miller précise que Lacan extrait ce terme d’ « urgence » [10] du sens commun et du commencement de l’analyse pour le faire cheminer tout au long du traitement. À l’œuvre, une urgence opérante qui pousse et qui presse celui qui vient au CPCT.
Le CPCT poursuit son travail sur ce lien social sans commune mesure [11] que la rencontre –pour les sujets parfois en errance – avec le discours psychanalytique permet de renouer. Le lien social étant, « explicitement, un certain usage du langage pour faire tenir des sujets ensemble [12]. »
* Premier rendez-vous clinique, 27 janvier 2018 avec Fabian Fajnwaks.
[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 298.
[2] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 248.
* Deuxième rendez-vous clinique, 19 mai 2018 avec Sonia Chiriaco.
[3] Cas clinique présenté par Emmanuel Provost.
* Troisième rendez-vous clinique, 23 juin 2018 avec Jérôme Lecaux.
4 Cas clinique présenté par Alice Ha Pham.
[5] Cas clinique présenté par Sarah Benisty.
[6] Miller J.-A., « La passe du parlêtre », La Cause freudienne, Paris, Navarin, n° 74, Mars 2010, p.116.
[7] Conclusion de Fabian Fajnwaks au premier rendez-vous clinique du CPCT-Paris.
[8] Miller J.-A., « Vers Pipol 4 », Intervention au congrès de Pipol 3 qui a eu lieu à Paris les 30 juin et 1er juillet 2007 sur le thème « Psychanalyse en prise directe sur le social » [disponible en ligne].
[9] Cas présenté par Anicette Sangnier.
[10] Miller J.-A., « La passe du parlêtre », op. cit., p.119.
[11] Journée annuelle du CPCT-Paris, « Un lien social sans commune mesure au CPCT. Singularité et clinique et discours psychanalytique » avec Jean-Daniel Matet et Antoni Vicens, le 6 octobre 2018 à l’hôpital Saint-Antoine.
[12] Lacan J., « Séance de clôture », Lettres de l’École freudienne de Paris, n° XVIII, 1975, p. 269.