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Un vaccin contre les illusions ?

Par Hervé Damase
24 janvier 2021
Un vaccin contre les illusions ?
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Le thème de cette journée « Question d’École » invite à un abord psychanalytique du fake afin de saisir sa place et sa fonction à partir d’un discours radicalement différent, fondé sur la singularité [*]. Il m’inspire une réflexion autour de ce qui fait aujourd’hui communauté humaine.

Faisons l’hypothèse que le fake tendrait à devenir la norme du discours courant à l’époque de l’Autre qui n’existe pas. La vérité se trouve mise à mal du fait même qu’il n’y a plus le grand Autre garant du vrai, d’où l’émergence d’une multitude d’imposteurs déguisés en maîtres qui se prennent pour l’Autre et instaurent un régime particulier de la vérité. C’est un fait de discours. Le fake relève d’une habileté qui puise dans toutes les ressources du langage pour prospérer avec à la clef la production d’une jouissance généralisée.

Le fake attaque l’Autre, lui cogne dessus, pour s’instituer lui-même comme la nouvelle référence sur le principe du « c’est vrai parce que je l’veux ». Ce n’est pas sans nous évoquer l’enfant qui prend ses désirs pour des réalités et réalise ses vœux par le simple fait de les énoncer. Le fake est donc performatif.

Si Lacan nous enseigne que la personnalité a la structure de la paranoïa [1], le fake est un discours qui lui va comme un gant : l’individu, le citoyen, le consommateur, le jouisseur trouve là matière à exprimer sa blessure intime sous le mode de la revendication. Aussi, le fake serait une insulte adressée à l’Autre méchant. On voit là combien le fake trouve à s’enraciner dans quelque chose de profond, un rapport à la jouissance dont chaque individu se trouve privé, spolié. L’usage politique du fake est à cet égard pervers, dans la mesure où il fait fi de la castration incluse dans le consentement à l’exercice de la parole.

Le fake autorise à dire tout et son contraire ; il admet paradoxalement une souplesse qui peut forcer l’admiration tellement c’est gonflé. Dites n’importe quoi, cela produira toujours quelque chose, et, en fonction de ça, vous pourrez toujours réajuster le tir et reprendre la main : tel pourrait être l’adage, le mode d’emploi à l’usage des prophètes du fake.

Le discours fake prospère sur l’illusion des lendemains qui chantent. Il régénère ainsi l’Autre moribond. Même si, au fond, personne n’est dupe, il faut user de cette mécanique qui n’est qu’une machine à produire de la jouissance mauvaise.

Tout cela ne serait rien si le fake n’avait pas d’incidence sur le lien social. Or il opère comme un dissolvant. Loin de faire communauté, malgré les apparences, il convoque des Uns-tout-seuls, déboussolés et en mal d’idéal. Ces uns, ce sont des Un-dividus, produits, ou déchets, du discours capitaliste. Le fake produit un effet délétère sur le lien social, s’appuyant sur l’illusion, la croyance et le mensonge, avec pour conséquence d’exacerber la haine, la traîtrise et la ségrégation, en lien avec la pulsion de mort. Nous reconnaissons là ce à propos de quoi Lacan nous a mis en garde quant aux effets conjugués du développement du capitalisme associé au discours de la science. Tel un cancer, le fake comme production langagière se propage dans tout le corps social.

Dans son fameux texte « Une fantaisie », Jacques-Alain Miller dévoile une convergence du discours de la civilisation hypermoderne et du discours de l’analyste [2], avec comme point fixe « la montée au zénith social de l’objet […] a » [3]. À l’aune de cette remarque, l’actualité du fake n’apparait-elle pas sous un nouveau jour ?

Cela invite à considérer la nature du collectif au fondement d’une école de psychanalyse, à l’heure où la vérité se diffracte et où l’Autre n’a plus de consistance. Nous avons là un type de collectif particulier dont la but est de veiller à maintenir vivante l’orientation lacanienne dans une époque traversée par les soubresauts du réel. À distance des idéaux de fraternité, notre communauté est fondée sur le rapport de chaque-Un à la cause analytique ; une communauté d’« épars désassortis » [4], comme Lacan les qualifie.

Un collectif fondé sur le un par un, ce n’est pas équivalent à l’individualisme. Le discours analytique opère à l’envers de l’individualisme qui, lui, va contre le collectif. Si l’individu s’inscrit dans le discours capitaliste, le sujet divisé, le parlêtre aussi bien, est le produit du discours analytique.

Dans le Séminaire XX, Lacan indique qu’il s’agit de faire collection du signifiant [5], indiquant là qu’il y a un point commun, une langue commune à partir de l’Un. Et lorsqu’en 1977, il définit la psychanalyse comme « autisme à deux » [6], n’est-ce pas pour indiquer qu’une langue n’est pas préexistante, mais qu’elle se constitue de la somme des particularités ? Le un n’est donc pas nécessairement un individualisme, mais il est aussi le germe de toutes les particularités communes.

Au-delà de la vérité, il y a le réel de la jouissance. La psychanalyse lacanienne est un traitement du réel de la jouissance par la pratique discursive, une pratique qui distingue deux statuts du signifiant : le signifiant en tant qu’il est articulé à un autre signifiant (S1-S2) et le signifiant tout seul, l’Un.

L’expérience, toujours en cours, de deux mandatures consécutives au sein du conseil de l’École de la Cause freudienne, sous deux présidences différentes, témoigne pour moi de cette structure à l’œuvre, basée sur la confiance et le respect, soit le transfert à la cause analytique. Faire cause commune, non pas la cause qui est devant et derrière laquelle on court sans cesse, mais la cause qui nous pousse vers quelque chose d’inconnu et que l’on désire plus que tout, car on en connaît un bout sur les effets de civilisation qu’elle nous permet d’obtenir. Cette forme de gouvernement n’est pas celle des sages, mais celle des êtres parlants aux prises avec un réel qui, pour le coup, tente de faire communauté. Être à cette place-là, c’est certes une responsabilité et un engagement, mais c’est d’abord et avant tout un pari. Impossible d’imaginer à l’avance ce que cela implique, car cela relève de la logique de l’acte. Un peu comme l’expérience analytique en quelque sorte.

[*] Texte prononcé lors de la journée « Question d’École. Le Fake », le 23 janvier 2021, en visioconférence.

[1] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 129-130.

[2] Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n°15, février 2005, p. 17.

[3] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 414.

[4] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, op. cit., p. 573.

[5] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 22.

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, Ornicar ?, n°17/18, printemps 1979, p. 13.

Numéro : L’Hebdo-Blog 226
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