Les Jeux Olympiques trouveront leur apogée du 24 juillet au 11 août 2024 et du 28 août au 8 septembre, pour les Jeux Paralympiques. Jeux de l’égalité quantitative hommes-femmes, ils investiront la capitale, se distribueront dans la proche banlieue et d’autres villes de France. Les politiques veulent « y faire briller la France », en faire une « fête populaire » et en attendent des retombées économiques. Les sportifs et les coachs sont encore en sélection, les spectateurs se cherchent des places et une partie de la population travaillant à cette époque se demande comment elle pourra encore se déplacer.
Personne ne peut plus se désintéresser du sport, il nous regarde de partout ; c’est une caisse de résonance sur laquelle se projettent les attentes ou les rejets des questions de la modernité dans laquelle s’agitent des jouissances de corps diverses et variées. Le sport, traversé par l’accélération des progrès dans les sciences, l’économie, la finance, l’information et le spectacle, s’inscrit dans la logique capitaliste de production/consommation. Les interprétations des pratiques et les conceptions du sport changent. En 2024, un des symptômes en est l’entrée de sports nouveaux : breakdance, skate-board, escalade. S’y ajoute une « Olympiade culturelle ». Sa responsable, chorégraphe, est surprise de l’engouement des artistes : 2000 rendez-vous artistiques dans 750 villes de France, autour du théâtre, de la danse, de l’opéra et des arts plastiques à partir des valeurs inclusives du sport, de l’art et de l’éducation.
Les sportifs, par l’exercice moteur d’un bout de leur corps, visent en eux un support pulsionnel, singulier à chacun, manque d’objet à inventer à chaque performance, qui n’a rien à voir avec le gain financier, la place ou le record. Zinédine Zidane en est un paradigme. « Un corps jouit de lui-même, bien ou mal, mais il jouit1 », dit Lacan. « ZZ » fait une carrière exemplaire de footballeur et d’entraîneur. Homme discret, protégeant sa vie intime et familiale, il parle peu, se centrant sur son jeu. Les stages de préparation intensive dont il ne supportait plus la douleur physique, ni l’angoisse et les insomnies qu’elle générait, deviennent insupportables. Divisé entre sa raison et un corps qui l’appelle vers de nouveaux buts, il fera plusieurs départs.
Il n’est pas facile de quitter le partenaire le plus intime d’une vie, ce partenaire pulsionnel qui n’est pas une image de maîtrise imaginaire, ni une représentation symbolique, mais un corps de trous et de bords, un corps d’objets « hors-corps », chus du corps que voile l’image. Les sportifs s’appliquent la maxime sadienne. Le sportif est le quiconque qui reprend l’énoncé et se l’applique : « J’ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque, et ce droit, je l’exercerai, sans qu’aucune limite m’arrête dans le caprice des exactions que j’aie le goût d’y assouvir.2 » Le sportif la met en acte à travers cette autre formule : « le sport, toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus fort ». Retournement de la règle imputée à l’Autre par le surmoi du sujet, qui l’impose à son propre corps. La douleur est une nécessité à laquelle il ne peut plus échapper, il découvre l’angoisse à l’approche de l’arrêt définitif de sa pratique, équivalent symbolique d’un deuil authentique.
Le 9 juillet 2006, ZZ vit une étrangeté radicale, dans le ciel noir de Berlin, le soir de l’arrêt de sa carrière de joueur. Le juste geste de ZZ déborde toutes ses retenues « le coup de tête de ZZ a eu la soudaineté et le délié d’un geste de calligraphie3 ». En une seconde, il trouvait son lieu, non pas la cage du gardien, mais la cage thoracique d’un adversaire qui n’usait pas du beau jeu. Urgence du temps venu, dénouage de deux courants contradictoires qui l’écartelaient, en un acte qui délivre.
Françoise Labridy
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les Non-dupes errent », leçon du 12 mars 1974, inédit.
[2] Lacan J., « Kant avec Sade », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 768-769.
[3] Toussaint J.-P., La mélancolie de Zidane, Éditions de Minuit, Paris, 2006, p. 9.