Jean, 33 ans, s’adresse au CPCT alors qu’il est mis sous pression : il doit trouver d’urgence un travail afin d’éviter une expulsion du territoire. Or, il n’arrive pas à savoir que faire de sa vie. Il se dit “volatile”. S’il se motive pour quelque chose, ça ne dure jamais car il pense qu’il n’est pas capable et rien ne se passe. Or le temps presse et “plus ça va, plus je me disperse”.
Blocage
Malgré sa formation universitaire, Jean ne sait pas quel type de travail chercher et il ne trouve que des emplois précaires. Dès qu’on lui propose quelque chose de “stable” : “il y a un truc qui me bloque”, “ça me traverse, mais je me défile”. Jean dit ne pas se sentir à sa place mais le blocage dont il témoigne s’avère plutôt être une défense contre l’impossibilité pour lui d’occuper une place, comme l’indique le récit qu’il me fait d’un épisode de sa vie : alors qu’il avait apporté des plaques de ses ruches à une fête familiale afin d’en extraire le miel, on le nomma “Jean l’apiculteur”. Il s’est senti très mal, “assigné à un rôle” qu’il a tout de suite remis en question. Impossible de se faire un métier, car un métier suppose un nom qu’il ne peut porter. Impossible d’occuper une place à moins d’y être fixé.
L’orientation de travail au CPCT a consisté à prendre acte de cet impossible et à ne pas le pousser vers une quelconque orientation professionnelle. Il a fallu entendre que sa position de sujet était du côté du “volatile”, “dispersé” dont il se plaignait.
Opacité et phénomènes de corps
L’idée de ne pas être à la hauteur le taraude. Avec les autres, cela va jusqu’à se sentir dénigré, voire maltraité s’il s’agit d’un patron. Il lui arrive d’entendre qu’on parle de lui mais il se rend compte que ce sont ses propres pensées qui lui viennent de l’extérieur. “Je sens le jugement des autres”, explique-t-il. Mal à l’aise, il se sent bête, a peur que les autres le sentent et “ça se transforme en parano”: s’il ne “décode” pas ce que l’autre veut, s’il lui semble qu’un reproche lui est fait, il “soupçonne l’autre d’être malveillant”. Être en faute confirme l’idée obsédante qu’il n’est pas à la hauteur et le laisse dans des ruminations sans fin. Une question que je lui poserai à un moment où ses pensées flambaient le laissera perplexe (”je n’y avais pas pensé”) et provoquera une absence et un blocage dans le cou, “avec la tête qui part de travers”. Il témoignera de l’occurrence de ces phénomènes lorsqu’il est confronté à l’“opacité” de l’Autre.
Une bombe prête à exploser
Alors qu’il a trouvé un travail de serveur, une dispute éclate avec son patron qui l’insulte. Jean se sent rabaissé, il voudrait s’en aller. Il ne veut pas se laisser faire mais il a peur de mal réagir. L’urgence de trouver une solution le laisse “sans réponse”. Il appelle alors sa femme qui l’aide à trouver une solution. “Ca m’a dégoupillé”. Entre exploser, passer à l’acte ou se casser, se laisser humilier, il y a la possibilité de parler. “Il faut que je trouve la balance” dira-t-il.
Parler est donc une solution que je soutiens. Il trouve en effet qu’ “être dans l’interlocution, avoir un ping-pong, ça permet de sortir des choses que je ne me dis pas tout seul”. Il s’agit de l’aider à sortir de la jouissance des pensées solitaires, mais aussi de rendre l’Autre moins opaque, tout en évitant de le fixer sous un signifiant que serait pour lui un métier stable, par exemple.