Traitement bref, spécifique ou pas ?
La question du traitement spécifique peut s’entendre de plusieurs façons. Simplement descriptive, ou bien structurale qui suppose qu’il le soit dans toutes ses modalités propres, ou bien seulement relative, dans son rapport à la cure analytique classique, par comparaison. Il y a une forme descriptive simple : les traitements ne durent pas longtemps et leur durée est fixée. Dans l’IPA on a ainsi défini des thérapies brèves. Des short-term psychotherapy.
Ensuite, on s’aperçoit depuis Balint et Ornstein qu’on préfère souvent parler malgré tout d’une sorte d’oiseau rare : « Élaborer une forme de psychothérapie psychanalytique brève, systématique et qu’on puisse définir et améliorer ?[1]» Aujourd’hui l’inquiétude est justement là, dans les risques que cela implique et on se questionne : « The danger exists that short-term thérapies which allow themselves to be incorporated into the managed-care industry[2]»
À l’inverse, cet auteur récent note que la plupart des spécialistes de ces thérapies mettent en jeu et centrent les choses sur les relations entre les sujets et les autres et à l’intérieur du traitement, plus que sur ce qui se passe pour le sujet lui-même. Étudier les « relations » suppose d’examiner le langage : « Our idiom is our mystery. [3]» Remarque qui s’applique au patient et au thérapeute… La spécificité ne se sépare pas des modalités de transmission de la psychanalyse et des tentatives de la « fixer » dans un modèle serait-il réduit. On sait que cela impliquait, pour les auteurs « pionniers », un au-delà, une limite temporelle, soit la définition d’un but restreint, la fameuse « focalisation du traitement ». Le « conflit focal » qui était supposé restait pourtant un avatar du « conflit nucléaire » et infantile, et ces conflits étaient eux-mêmes définis par French comme pulsionnels. Ensuite le débat a été ouvert : faut-il alors sélectionner les patients ? Sélection qui définirait en partie la spécificité elle-même, mais les avis divergents sur ces modalités n’ont pas abouti à une définition stable.
Pour nous ce n’est pas par ce côté que le problème est à saisir. On oublie souvent qu’au départ le critère thérapeutique n’était pas au premier plan, mais ce qui importait c’était l’étude de l’interaction entre patient et thérapeute. Cela a donné une exigence de rendre compte au plus près du processus, du point de vue du patient et du point de vue de l’analyste. La brièveté permettait justement l’exhaustion des interactions et celle des interventions. Là où Freud avait précisé au contraire que le début et la fin de l’analyse étaient seulement aptes au compte-rendu par rapport au cours du traitement plus difficile à exposer.
Une autre tendance est de voir après Ferenczi dans cette forme de thérapie une possibilité d’activation du processus qui serait spécifique. Freud avait répondu à Ferenczi : « Mais quelle que soit la forme de cette psychothérapie populaire et de ses éléments, les parties les plus importantes, les plus actives demeureront celles qui auront été empruntées à la stricte psychanalyse dénuée de tout parti pris. [4]» Alexander prit dans les années quarante le parti d’activer le transfert en modifiant le rythme, en interrompant le traitement ou en prenant le contre-pied de la situation de transfert. Aujourd’hui, certains manient par exemple une activation calculée de l’angoisse.
En usant du terme de traitement rapide à Barcelone en 2005, nous avons choisi d’accentuer une question de rythme plus que de durée, rythme qui donnerait son style au traitement. J.-A. Miller soulignait cela : « C’est sans doute que nous ne connaissons que la cure analytique longue à effets rapides. Question : peut-on définir en psychanalyse quelque chose comme une cure rapide ? [5]» Les moments cruciaux d’une cure classique se présentent souvent comme des moments rapides qui peuvent servir d’inspiration au traitement rapide. Quelle est dans cette perspective du traitement rapide la place du transfert ? La brièveté ne laisse que peu de place à un déploiement de la répétition. Mais par contre n’y a-t-il pas des éléments essentiels qui se révèlent cependant dans la dimension du transfert, d’où le souci pour le « relationnel » qui ferait symptôme ? Ce que Balint recherchait avec l’interaction c’est aussi ces effets spontanés et rapides du transfert qui ne prennent pas ensuite le tour de la répétition. Lacan nous a aussi montré que le transfert n’est pas simple reproduction du passé mais bien production d’une réalité nouvelle.
Autre question : est-ce le temps que l’on limite ou le but, la visée même qui doit être définie, là où elle peut sembler indéfinie dans la psychanalyse ? Mais cet indéfini d’apparence est lui-même pris dans la haute définition supposée à l’analyse de l’analyste et à son désir… Désir de l’analyste que Lacan met justement au centre du transfert. À ce niveau il n’y a pas d’analyste qui s’autoriserait de son « application » à la tâche ! On remarque que bien des traitements prendront une forme singulière non pas par rapport au « cadre », mais par rapport à la modulation apportée à l’action de l’analyste par le temps, par la « focalisation » de sa décision, ou par son désir. Le point commun entre les traitements brefs et la cure, c’est l’idée que la terminaison peut en définir l’existence même. J.-A. Miller soulignait à Barcelone que : « Lacan a l’idée que les analyses se terminent bel et bien. Et ces cas sont précieux parce qu’ils démontrent le caractère fini de l’expérience, même s’il s’agit seulement d’un seul cycle. On peut toujours refaire des tours, mais chaque cycle de l’expérience a sa complétude. Ce serait une nouvelle thèse : l’analyse est tellement terminable qu’elle se termine plusieurs fois (rires), qu’elle aime terminer, et termine de façon répétitive. Cela suit l’expérience de près. Il y a une fin finale, et comme l’analyse aime terminer, elle termine à nouveau. C’est dire qu’elle oblige à recommencer – pour terminer.[6] »
Souvent, on voit que le sujet lui-même ou l’analyste peuvent décider de mettre le mot fin avant ce qui est fixé. Est-ce alors précipitation, prudence, ou impasse ? Quel est le rôle de l’analyste et de son désir dans cet arrêt rapide facilement attribué au patient, ou au cadre ?
P.-G. Gueguen remarquait à Barcelone à propos de la fin : « Non pas que le patient ait épuisé toutes les ressources qu’une cure analytique pourrait lui offrir, mais simplement parce que le mieux obtenu ne le contraint nullement à s’engager plus loin. [7]» Il y voyait une liberté. Mais on s’aperçoit aussi que souvent, pas toujours, ce traitement rapide, fonctionne comme un préliminaire à une analyse. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit justement d’un traitement préliminaire.
L’anonymat de l’institution, voire le caractère multiple des intervenants peut être facilitateur pour des sujets forclos en déshérence de l’Un. Mais ce qui est à prendre aussi en compte c’est l’effet de l’époque et de son rapport au temps sur la façon de percevoir et de traiter le malaise. À ce propos, dans son dernier article paru dans l’Hebdo Blog, Miquel Bassols remarquait que : « Dans cette conjoncture, il y a un paradoxe qui fait notre actualité : plus on promeut l’éternité pour sujet, plus on le pousse à l’urgence subjective ; plus on déplace le sujet dans la chaîne infinie du signifiant, plus on obtient son angoisse comme signe d’un réel, plus on trouve un sujet hyperactif, un sujet poussé à l’acte.[8]»
Un traitement reste pour nous le traitement du réel par le symbolique, avec parfois quelques retours !
[1] Balint Enid, Balint Michael, Ornstein Paul H., La psychothérapie focale. Un exemple de psychanalyse appliquée, Payot, 1963, p. 15.
[2] Coren Alex, Short-term psychothérapy, A psychodynamic Approach, Karnac books, 2001, p. 167.
[3] Ibid., p. 72.
[4] Freud S., La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1975, pp. 140-141.
[5] Miller J.-A., « Effets thérapeutiques rapides en psychanalyse », La Conversation de Barcelone, Le Paon, 2005, p. 35.
[6] Ibid., p. 53.
[7] Ibid.
[8] Bassols M., « Le corps parlant et ses états d’urgence », l’Hebdo Blog, 14/02/2016, article disponible en ligne.