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Toussaint Turelure par la voix de Jacques Roch ou la mise en scène de la jouissance

Par Ana Victoria Saldarriaga Alzate
13 octobre 2014
Toussaint Turelure par la voix de Jacques Roch ou la mise en scène de la jouissance
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Magistralement servi par Louise Roch, Valentin L’Herminier et Jacques Roch, le texte de L’Otage s’est incarné à Rennes en septembre dernier, ponctuant une journée d’hommage à Roger Cassin. 

Ana Victoria Saldarriaga Alzate s’efforce ici de décanter pour nous et pour elle-même ce que charrie cette prose chargée jusqu’à la gueule de perles et d’ordures.

Sous la poétique, les lignes de la structure du pacte entre les hommes et des actes qui le traduisent – pas sans le trahir – sont tendues à l’extrême. 

Car il advint qu’en ces temps de détresse l’amour refusa de pactiser avec la vie. Chacun allant de son côté, la vérité de la chair fut dénudée et son silence méprisé.

Dans La marquise d’O, Kleist n’avait pas dit tout à fait la même chose, mais la longue trilogie et la brève nouvelle se croisent au point où elles s’affrontent avec bravoure à la révélation du non rapport sexuel.

Telle était la signature de l’époque contemporaine…

Est-elle dépassée ?

Nathalie Georges-Lambrichs

La mise en scène de L’otage par Jacques Roch dans l’après-midi Lacan lecteur de Claudel[1] a fait résonner en moi, après coup, le non et la jouissance.

Le non et le nom

Il y a le « non » dans l’équivoque de la lalangue. Tandis que Louise Roch fait entendre : « La vie est à Dieu, mais le nom est à moi », j’entends : « le non est à moi ». Je me laisse guider par l’équivoque, parce qu’on identifie Sygne dans le « nom ». Ce « non », c’est son choix, et non celui de Dieu. Que refuse-t-elle alors ? Il ne s’agit pas d’une demande, puisque finalement elle les accepte toutes. Son « non » refuse autre chose, il refuse la jouissance que Turelure représente pour elle[2] : « tout est changé, Georges. Il n’y a plus de droit, il n’y a plus qu’une jouissance ». Sygne l’a compris dès que Toussaint Turelure lui a exposé ses crimes sans aucune honte[3], puis lorsqu’il a éliminé le nom et le droit pour leur substituer la fraternité[4] :

TURELURE : L’enfant majeur n’est plus soumis à son père.

SYGNE : Mais la femme reste toujours soumise à son époux.

TURELURE : Nous ne reconnaissons plus de vœux éternels.

[…]

TURELURE : Les morts lieront-ils les vivants pour toujours ?

À cette dernière question Sygne répondra oui. Elle dit à Georges : « Prends ma main puisque tu ne me vois plus, ô frère, je suis restée la même ! Et mon autre main est liée à la chaîne de tous mes morts. »[5]

Il faut partir de l’opposition entre ce qu’ils sont, un nom, un droit, et ce que Turelure est, une jouissance. C’est essentiel comme point de départ pour ce que Lacan veut nous montrer de l’émergence du désir dans la dernière œuvre de la trilogie.

Le père aussi ridicule, pure jouissance

La figure et la voix que Jacques Roch prête à Toussaint Turelure dans la scène m’ont étonnée. Le Toussaint que j’imaginais allait plutôt dans le sens de la méchanceté et de la tragédie. Or les inflexions de la voix du comédien m’ont révélé le père ridicule, à entendre comme ce qui fait rire malgré l’air tragique qui peut le couvrir.

Mais de quoi est-ce là le ridicule ? D’une jouissance toute seule, étrangère aux besoins d’une chaîne signifiante. Lacan y fait également référence, dans Le Séminaire, livre VI[6], avec l’avare qui fait rire ; nous retrouverons ce trait dans le Turelure du Pain dur. Mais avant que la jouissance se prenne dans cet objet-là, nous la voyons ici, cette jouissance, ridiculement pathétique dans la dernière scène, magnifiquement représentée par les acteurs : ce Turelure-là est complètement certain de l’amour éternel de Sygne. Il n’y a aucun doute pour lui. C’est sa femme : il l’aime, donc elle l’aime. Il est vivant, donc elle doit vivre. Ce ridicule de l’impossible mené à l’extrême est pathétique, car il n’aura jamais son âme puisque Sygne se refuse à cette jouissance. L’horreur de l’un en face de l’autre cristallise cette impossibilité :

SYGNE : Monsieur le Préfet, c’est donc en partie de police que vous êtes venu chez moi aujourd’hui ?

TURELURE  : Quelle horreur ! […][7]

Il clame son horreur de tout ce que la police représente. Et elle[8] :

SYGNE : Vous me faites horreur.

TURELURE : Je le sais. C’est sur ce sentiment que notre amitié est fondée.

Si Sygne a choisi le non et le Nom-du-Père, lui est le fils de sa mère : « Je suis le fils de votre mère Suzanne. »[9]  Turelure peut toujours faire les lois, il n’est pas inscrit dans la loi signifiante. Sygne, quant à elle, ne nous parle que de l’inscription dans cette loi, qui est, en même temps, celle du désir. Chez Turelure, les fondements des rapports avec les autres sont les lois primordiales de l’esclavage, sans substitution avec celle du désir. Ne dit-il pas :

« Qu’est-ce qu’une génération ?

Ne suis-je pas né votre serf et le fils de votre servante ? »[10]

Même à l’égard de l’amour il ne conçoit pas d’autre possibilité. De même sur son amour pour Sygne : « Ah, le vieil esclavage de ma mère continue ! »[11] Si Sygne dit « non » à la jouissance et oui au nom, Turelure dit oui à la jouissance et non à l’inscription signifiante, et, en conséquence, au Nom-du-Père. La loi signifiante se justifie en raison de son revers, la jouissance.

Si, selon Lacan, Sygne représente la marque du signifiant[12], il me semble que dans ce premier moment de la trilogie, Turelure représente la jouissance même, toute seule, ne s’inscrivant dans aucun signifiant, et encore moins dans la sexuation. Voilà où s’inscrit l’impossibilité, l’inexistence de tout rapport sexuel pour l’être parlant, là est le pathétique de la scène finale : la jouissance déferle, face à la chaîne signifiante, sans possibilité de rapport.

[1] Organisé par l’ACF-VLB et la Section clinique de Rennes, 13 septembre 2014.

[2] Claudel P., L’otage suivi de Le pain dur et de Le père humilié, Paris, Gallimard, p.120.

[3] Ibid., p. 64-5.

[4] Ibid., p. 70.

[5] Ibid., p. 128.

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Éditions de La Martinière et Le Champ Freudien Éditeur, juin 2013, p. 108-109.

[7] Claudel P. op. cit., p. 62.

[8] Ibid., p. 65.

[9] Ibid., p. 67.

[10] Ibid., p. 66.

[11] Ibid., p.77.

[12] Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 357.

Numéro : L'Hebdo-Blog 04
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