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Éditorial

C’est au plus vite, dans l’Hebdo-Blog de lundi prochain, qu’en direct du Conseil, nous vous transmettrons un retour de Question d’École, l’événement de cette rentrée 2015 du samedi 24 janvier. Cette Journée, consacrée aux « Problèmes cruciaux du contrôle et de la passe », fut passionnante, source de travaux et de débats vifs et nouveaux.

Nous attirons encore votre attention sur la table ronde qui s’est tenue le lendemain matin à Paris, dans le cadre des Séminaires de La Règle du Jeu. Elle réunissait Nathalie Jaudel, Éric Laurent, René Major et Catherine Millot autour du thème : FREUD, LACAN : comment écrire leurs biographies. (site de La Règle du jeu, dès mardi ou mercredi : http://laregledujeu.org)

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Le porno : quoi de neuf ?

« La psychanalyse change, ce n’est pas un désir, c’est un fait, elle change dans nos cabinets d’analystes, et ce changement, au fond pour nous, est si manifeste que le congrès de 2012 sur l’ordre symbolique, comme celui de cette année sur le réel, ont chacun dans leur titre la même mention chronologique, “au XXIe siècle”. »[1] Il faut dire que cette affirmation de Jacques-Alain Miller est loin de faire l’unanimité dans le monde analytique. Il n’est pas rare, lorsqu’on intervient auprès d’auditoires analytiques extérieurs au Champ freudien, de faire un étonnant constat. Des collègues, qui ont pourtant une pratique confirmée, rétorquent, chacun avec ses repères : « Non, rien n’a changé, ni dans la pratique analytique pas plus que sous le ciel étoilé de la clinique. Non, l’inconscient est éternel et atemporel, il est déconnecté de la subjectivité de notre époque. »

Alors que je tentais de faire entendre dans un colloque, fin novembre, ce que comporte comme nouveauté l’explosion du porno à l’échelle planétaire, et ses conséquences cliniques dans la sexualité masculine, l’analyste président de séance affirma que le porno était vieux comme l’histoire du monde et qu’il s’étalait déjà sur les fresques érotiques de Pompéi… Déni ? Passéisme ? « N’en rien vouloir savoir » ? Quoi qu’il en soit, je ne cesse de constater que le relief du monde ne se découpe pas de la même façon lorsqu’il n’est pas éclairé par l’orientation lacanienne. S’en sert donc qui veut.

Il n’est pas anodin que J.-A. Miller ait choisi d’ouvrir sa présentation du thème du prochain Congrès de l’AMP en s’attardant sur la coupure introduite dans la morale sexuelle civilisée par le déferlement pornographique : « Comment n’aurions-nous pas, par exemple, l’idée d’une cassure, quand Freud inventa la psychanalyse, si l’on peut dire, sous l’égide de la reine Victoria, parangon de la répression de la sexualité, alors que le XXIe siècle connaît la diffusion massive de ce qui s’appelle le porno, et qui est le coït exhibé, devenu spectacle, show accessible par chacun sur internet d’un simple clic de la souris ? »[2] Sa thèse est tranchante : le tsunami pornographique c’est du nouveau dans la sexualité. Plus il exhibe les ébats entre parlêtres, plus il fait saillir l’absence de rapport sexuel.

La copulation filmée et donnée à voir dans un large catalogue polymorphe a des effets dont les analystes recueillent les conséquences. Le décalage entre hommes et femmes concernant ces pratiques est saisissant. Le désintérêt majoritaire des femmes contraste avec le fait que c’est l’homme « le sexe faible » quant à cet accrochage pulsionnel, dépendance que nous pourrions qualifier paradoxalement d’inébranlable ! Aujourd’hui un site comme Youporn compte cent millions de connexions par jour et le nombre d’hommes, avouant « c’est plus fort que moi », se compte aussi par millions : il y a eu rencontre entre l’époque du Web et certains traits de structure propres à la sexualité masculine. Il y a eu rencontre entre l’hédonisme désinhibé, immédiat, de notre époque, le privilège accordé à l’image, et le ravalement de la vie amoureuse masculine. Objets a, objets fétiches, objets dégradés, jouissance féminine mise en scène par des réalisateurs masculins, fantasmes ready-made et bouts de corps envahissent le champ scopique masculin, produisant une irrésistible capture.

La prolifération du porno est solidaire d’autres modifications d’envergure dans le champ du sexuel. Marie-Hélène Brousse avait relevé certains traits concernant ces mœurs nouvelles, en indiquant que la marchandisation aussi bien que la logique consumériste avaient fini par envahir le terrain de la sexualité, provoquant des transformations qualitatives. Elle épinglait ainsi l’un de ces nouveaux traits de la rencontre sexuelle : « Elle est de plus en plus corrélée par contre à l’imaginaire au sens propre, soit à l’image du corps plus qu’au dire. »[3] Ceci est valable pour la pornographie, lieu par excellence de la non-rencontre et de l’évanouissement de la parole. Ici le sujet ne rejoint que ce que sa jouissance a de plus solitaire et de plus addictif.

L’Hebdo-Blog compte bien faire résonner autour de divers articles, ce nouveau phénomène qui éclaire aussi bien le cours des mœurs sexuelles que ses conséquences dans le champ de la subjectivité.

[1] Miller, J.-A. « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, Paris, Navarin Éditeur, n° 88, 2014, p. 105. [2] Ibid., p. 105. [3] Brousse M.-H., « L’amour au temps du “Tout le monde couche avec tout le monde” Le savoir de Christophe Honoré », Lacan Quotidien, n° 81, 6 novembre 2011.

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Et si la rencontre amoureuse était un acte manqué !

Benoite Chéné a accepté de revenir sur l’après-midi de travail organisée le samedi 20 décembre 2014, par l’ACF-VLB bureau de Nantes-Saint Nazaire.

Et si la rencontre amoureuse était un acte manqué ? C’est l’une des questions qui a surgi, ce samedi, lors d’une après-midi de l’ACF consacrée au thème de la rencontre.

Pierre Naveau, à partir de son livre Ce qui de la rencontre s’écrit, s’est, en effet, prêté à la contingence des questions que lui ont posées sur son livre huit personnes montant sur scène, une par une, à ses côtés à la façon d’un speed-dating.

L’amour lacanien nous maintient éveillé, car c’est plutôt la contingence que la nécessité qui est aux commandes, la solitude plutôt que l’entremêlement, la guerre plutôt que la paix, et l’aveu plutôt que le mutisme.

Une rencontre amoureuse, ça ne s’anticipe pas, ça nous tombe dessus, c’est traumatique, on est surpris.

Quand un homme et une femme se désirent, nous ne sommes plus dans le ciel des idées, il y a les corps. Et donc ça rend la chose inavouable, ça touche à la pudeur.

L’amour ? Ça ne peut s’exprimer que par un lapsus. Mais l’événement d’un dire n’est jamais acquis, car la rencontre amoureuse ne se limite pas au jour J. Pour qu’elle se poursuive, il faut avoir un certain rapport au savoir. Il faut vouloir en savoir un peu plus et accepter d’en perdre un bout : il y a, en somme, un avant et un après.

C’est donc la manière dont chacun se débrouille avec ses symptômes qui décide de ce qu’il vous arrive ou pas. Cela demande d’inventer, il faut se fatiguer.

Si vous vous intéressez aux relations entre les hommes et les femmes, nous dit Pierre Naveau, cela demande qu’on se casse la tête.

Il faut donc un certain courage pour que puisse s’écrire quelque chose de la rencontre. Ceux « qui préfèrent leur tranquillité, eh bien, ça va pas l’faire ! », a conclu P. Naveau.

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À propos de Mères douloureuses – Questions à Philippe De Georges

Philippe De Georges écrit avec style, toujours syntone à son expérience de psychanalyste. Avec Mères douloureuses[1], il nous convie à suivre le parcours des cures de trois femmes, trois mères, dont chacun des mondes est troué par la douleur. L’enfant symptôme, condensateur de jouissance, renvoie chacune à une « souffrance sans fond »[2] la confrontant singulièrement à sa jouissance féminine et convoquant son rapport à la fonction du père. La figure classique de la Mater Dolorosa se trouve ici transformée. Si La femme n’existe pas, si la mère in-existe, la psychanalyse fait exister un lien de parole donnant sa place au plus inconnu de soi-même. La réflexion de P. De George s’inscrit dans notre actualité la plus cruciale.

L’Hebdo-Blog – Après avoir écrit La pulsion et ses avatars[3] en 2010, puis Par-delà le vrai et le faux[4] en 2013, vous publiez Mères douloureuses. Dans chacun de vos trois ouvrages, vous donnez toute sa portée à la jouissance et à l’éthique de la psychanalyse qui rend le sujet responsable de sa jouissance. En quoi pensez-vous qu’une telle responsabilité éthique face au réel est actuelle ?

Philippe De Georges – Je vous remercie de relever cette constante. Sans doute est-ce depuis que j’écris ma question. A peine entré à l’École, je me souviens d’une conférence faite à Nice par François Leguil. Je lui avais précisément demandé de dire selon lui ce que devient la pulsion à la fin de la cure. Je ne fais jamais que poursuivre ce fil. L’idée directrice est que l’éthique de la psychanalyse n’est pas autre chose que celle du traitement par chacun de sa jouissance, en tenant compte de l’autre. On peut lire tout Freud et tout Lacan avec ce souci, depuis ce que le premier appelle « le complexe du prochain »[5] dans son Esquisse d’une psychologie : soit comment, en partant de sa « détresse originelle»[6] et des plus précoces « expériences de satisfaction »[7], le petit d’homme lie jouissance et présence du prochain.

Tout ce que nous vivons aujourd’hui – Charlie, le terrorisme, l’éducation des filles et la condition féminine, les façons d’aimer, de vivre des relations sexuelles, de procréer, la liberté pour moi et la tolérance de l’autre – pose à nouveaux frais cette question.

L’HB – Dans Mères douloureuses, vous dépliez trois cures de trois mères douloureuses ne cessant de se sacrifier, de valoriser la perte et « la souffrance sans fond »[8] et de conforter l’Idéal du moi. Chez ces trois femmes, l’être féminin est sacrifié au profit de l’Être mère poussé jusqu’à l’impossible. Leur maternité est un Toute-mère pris dans la jouissance féminine. Cette démesure maternelle, en faisant de chacune une mère singulière, re-questionne la fonction paternelle. Au cœur des nouvelles organisations familiales de notre époque, comment pensez-vous que ces « Mères douloureuses » ouvrent de nouvelles pistes pour la psychanalyse au regard de la question : comment être père ?

P. De G.  Comment être père est la question la moins abordée dans ce livre. Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu’elle n’y est pas, en filigrane. Il est en effet rédigé à partir de la parole de ces trois analysantes. Même l’enfant-tourment n’est présent dans ces cas que par le biais de ce que disent ces mères et donc comme le signifiant qu’il est pour elles. Mais pour chaque cas, il y a, en arrière-plan et dans les propos de ces femmes, le père qu’elles ont eu et le père qu’ont eu leur enfant. Les pères de ces patientes sont aussi différents entre eux qu’elles le sont elles-mêmes. L’un est un père incestueux qui s’érige (si je puis dire) comme seule source de la loi ; l’autre est un père-la-vertu qui légifère au nom d’un Dieu sans faille ; et le troisième est un père in-signifiant. Ce qu’ils ont en commun est que les sujets que nous entendons, leurs filles, n’ont pas trouvé en eux un repère assez consistant et crédible pour qu’il serve de boussole dans les embrouilles du désir. Leur être-femme s’est trouvé en défaut, pour des raisons et par des circonstances différentes pour chacune d’elle et, devenues mères, la question du père est restée pour elles en souffrance. Chacune a bricolé devant l’enfant à naître, avec des partenaires à vrai dire assez peu conséquents. Elles n’ont pas eu plus de recours pour faire avec leur enfant-tourment qu’elles n’en avaient eu pour faire avec leur être-femme et leur désir d’être mère. Chacun de ces enfants – en s’en tenant à ce qu’en disent leurs mères, puisque nous n’avons pas leur témoignage direct, comme sujets – semble avoir manqué à son tour d’un recours suffisant au père. Au final, on serait tenté de dire : à mère douloureuse, père toxique. Mais le risque est bien sûr celui de toute généralisation. Ce court ouvrage ne propose aucune typologie et tourne le dos à toute illusion universalisante. Il n’y a pas plus de réponse générale à « comment être père » qu’à toute autre question que rencontrent les sujets dans leurs vies.

L’HB  La psychanalyse fait exister un lien de parole capable de toucher « à la détresse et à la dette »[9] et, en donnant sa place au plus inconnu de soi-même, au désir inconscient de chacun, ouvre à la surprise et à l’invention singulière. Ne pensez-vous pas que ces trois mères douloureuses qui ont « le père à l’œil »[10] nous apprennent à donner toute sa portée à la « fraternité discrète »[11] propre à la psychanalyse ?

P. De G. Si c’est le sentiment que la lecture de ce petit volume suscite, j’en suis ravi. C’est en tout cas une idée liée à votre sensibilité personnelle, que je reprends volontiers à mon compte. En même temps, nous savons (et l’adjectif « discrète » qu’utilise Lacan en témoigne) que l’analyste ne fait usage ni de sa compassion éventuelle ni d’un « je veux ton bien » dont on connaît trop les ravages.

Le signifiant de fraternité ne va pas sans mériter qu’on l’interroge. Une certaine tradition nous a appris qu’être frères, c’est aussi le cas d’Abel et de Caïn. Une autre, qui ne nous est pas moins familière, évoque Etéocle et Polynice, puis Romulus et Remus. Il faut donc manier ça avec quelques pincettes… Car près de nous, Sartre n’a pas hésité à parler de fraternité-terreur ! Vous voyez comme, une fois encore, tout cela est actuel. Il y a dans le mot de fraternité un profond ressort d’idéal, comme dans celui de liberté. L’usage des idéaux, leurs contradictions et leurs limites, leur possibilité et leurs effets sont en débat au moins depuis les Lumières.

[1] Georges P. De, Mères douloureuses, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2014. [2] Ibid., p. 88. [3] Georges P. De, La pulsion et ses avatars, Paris, Éd. Michèle, 2010. [4] Georges P. De, Par-delà le vrai et le faux – Vérité, réalité et réel en psychanalyse, Paris, Éd. Michèle, 2013. [5] Freud S., Entwurf / Esquisse I et II, Trad S.Hommel et col, Extrait du bulletin Paléa 6,7,8 p.24.www.lutecium.fr [6] Ibid., p.16. [7] Ibid. [8] Georges P. De, Mères douloureuses, op.cit. [9] Ibid., p. 111. [10] Ibid., p. 113. [11] Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 124.

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L’accueil psychanalytique : faire déconsister l’Autre

Intervalle-CAP est un centre d’accueil et de consultations psychanalytiques ouvert à Paris 13e uniquement le week-end. Une quinzaine de praticiens se relaient chaque samedi et dimanche pour assurer les accueils et les consultations, gratuits et ne nécessitant pas de prise de rendez-vous préalable. Intervalle-CAP est destiné à des hommes et à des femmes en situation de grande détresse psychique et pour qui les temps du week-end renforcent l’isolement.

Le cas qui va suivre rend compte de la fonction que peut avoir le dispositif si particulier d’Intervalle-CAP pour ces patients confrontés à un Autre jouisseur persécutant qui les empêche de nouer un lien social ou thérapeutique stable.

Madame A. s’adresse une première fois à Intervalle-CAP en juillet 2010 car quelque chose revient dans sa vie, une angoisse, qui concerne la relation à sa mère, dit-elle. À la fin de l’année scolaire 2011, elle décide de partir au Canada pour ses études. Elle revient à Intervalle-CAP de janvier 2012 à juillet de la même année. Ce n’est que deux ans plus tard que cette femme de quarante-deux ans s’adresse à nouveau à Intervalle-CAP car le vendredi précédent elle s’est sentie comme une pute, dit-elle.

Durant toutes ces années d’entretien avec les différents accueillants, il y a juste à suivre son dire pour se rendre compte que ce sujet est très proche de ce qui est au fondement même de la parole. En effet, notre patiente témoigne avec éloquence de cela : les signifiants que nous utilisons ne sont que les signifiants de l’Autre ; au sein même de cet ensemble, il y a une barre, un trou. Je la cite : « le langage fait obstruction de l’individu, c'est-à-dire que quand on veut faire une demande pour obtenir quelque chose, on doit passer par le langage avant que cela fasse retour sur soi ». Autre citation : « Dans le langage, des choses n’existent pas. J’emploie des mots, je me pose sur des mots mais ce que je ressens, mon mal n’est pas tout à fait ça. Les mots ne traduisent pas les mots ». Madame A. illustre aussi avec précision que le langage marque le corps du parlêtre, et surtout qu’il y produit des phénomènes. Par exemple, après que sa mère lui ait dit au téléphone de ne pas avoir d’enfants, Madame A. dit ressentir que son ventre a gonflé comme si elle était enceinte. Lors d’une autre séance, elle explique qu’elle a senti des sensations étranges au niveau de ses yeux, après qu’un homme lui ait dit « tes yeux sont mieux que l’an dernier ».

À cette trop grande proximité vis-à-vis de la vérité langagière, s’ajoute, pour ce sujet, une perplexité omniprésente vis-à-vis de la signification de l’autre qui s’adresse à elle. Madame A. évoque, à plusieurs reprises, qu’elle ne comprend pas ce que disent ou ce que veulent dire les personnes qui lui parlent. En entretien, toute interprétation sémantique de l’accueillant génère de la perplexité et donne lieu à des interrogations : « Pourquoi vous me dites ça ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? » De plus, lorsque l’on reprend certains signifiants énoncés par ce sujet, ceux-ci perdent de leur empreinte énonciative et deviennent des signifiants de l’Autre, porteurs de perplexité.

Le rapport à la parole de cette patiente nous permet de faire l’hypothèse de l’absence du Nom-du-Père. Cette absence laisserait ce sujet aux prises avec le trou dans l’Autre et l’aliénerait sans médiation symbolique à l’envahissement du monde imaginaire, de ce monde fait de transitivisme, de rivalité, d’agressivité. Face au trou du non-rapport, la machine à interpréter se met alors en route et la réponse que trouve Madame A. serait que l’Autre lui veut du mal, jouit d’elle. L’identification de la jouissance se ferait ainsi au lieu de l’Autre. Madame A. se rend principalement à Intervalle-CAP pour se plaindre que tous les petits autres qu’elle rencontre, et principalement les hommes, la manipulent, la consomment, la convoitent sexuellement, la dénigrent, etc. Elle se défend avec ardeur de leurs propositions, de leurs remarques humiliantes, pour protéger son être, dit-elle. Cette certitude délirante vis-à-vis du désir de l’Autre prendrait son origine dans sa relation à sa mère. En effet, selon Madame A., sa mère l’aurait excisée à l’âge de douze ans et lui aurait dit : « laisse passer l’homme ». Face à cet énoncé de la mère, à ce signifiant tout seul, Madame A. dit avoir compris qu’elle doit s’écraser en tant que femme, qu’elle doit céder la place aux hommes. Sa mère, affirme t-elle, aurait fait d’elle un objet sexuel. À se faire l’objet de la jouissance de l’Autre, Madame A. se retrouve en grande détresse dans le lien social et dans la rencontre amoureuse. Détresse qu’elle qualifie « de solitude effroyable, sans horizon ». À plusieurs reprises, elle manifeste son impossibilité à pouvoir dire non aux avances des hommes, et le résultat, nous précise t-elle, est que « l’on se sert de moi et on me jette ».

Venir à Intervalle-CAP chaque week-end permettrait à Madame A. de pouvoir se déloger quelque peu de cette place d’objet, de déchet qui revient inlassablement, et de mettre un peu d’ordre dans ses relations aux autres, envahies par le registre imaginaire. Depuis quelques mois, Madame A. entretient une relation amoureuse avec un homme qui semble faire exception dans la série des hommes qui la draguent, la consomment. Cet homme, qu’elle a rencontré dans un bar, est bienveillant avec elle et ne semble pas vraiment intéressé par les relations sexuelles. En se désintéressant du sexe, cet homme permettrait à notre patiente de pouvoir s’autoriser à aimer. Malgré tout, la perplexité présente au sein de son rapport à la parole, et sa position à se faire rejeter par l’autre, laissent toujours ce sujet dans une profonde détresse et dans un impossible de la rencontre amoureuse. Intervalle-CAP semble donc être un lieu qui, de par son dispositif (uniquement le week-end et roulement des accueillants), permettrait à ce sujet, lors de chaque entretien, de pouvoir faire déconsister quelque peu cet Autre jouisseur, persécutant, et de trouver diverses solutions pour faire avec le lien social et amoureux.

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Lacan vivant !

Ceux qui n’ont pas eu la chance d’être là lundi soir[1] ont vraiment manqué quelque chose : les auteures du livre Être mère nous ont présenté, chacune, ce qu’elles nous ont transmis dans ce joli volume. Comme nous le dit Christiane Alberti, qui l’a dirigé, la mère ne tient son être que du langage, en tant qu’être parlant. Les contradictions du désir de maternité se présentent tous les jours dans la clinique et font symptôme. Les chapitres du livre, présentés par ses auteures, traitent des symptômes contemporains de la maternité, de la demande illimitée d’enfant faite à la science jusqu’au déni de grossesse et l’infanticide. À entendre ce qui se dit dans une analyse, on pourra s’orienter dans les mutations contemporaines, du côté de l’analyste, et s’en rendre responsable, du côté analysant. Et il n’est pas besoin d’être une femme pour avoir des fantasmes de maternité ! Alors, qu’est-ce qu’une mère? Quand elle y parvient, c’est quelqu’un qui aide un enfant à se séparer d’elle, à être nommé par un désir qui ne soit pas anonyme. Mais la souffrance maternelle, très répandue, témoigne d’une expérience subjective difficile à décrire. Si l’on pensait que La femme n’existe pas, puisque chacune fait objection à l’universel, mais que La mère existe, nos collègues nous ont montré qu’il n’y a pas de savoir sur la maternité comme mode d’emploi. À chacune la possibilité de pouvoir l’inventer dans une analyse. Le débat, dans l’intimité de la Librairie Tschann, avec un public attentif, nous a apporté des surprises. Une sage-femme a témoigné de combien les instruments qu’elle trouve chez Lacan l’aident à entendre ces femmes qu’elle aide à accoucher. « Lacan est vivant », dit-elle, contente d’échanger avec des psychanalystes. Une autre participante a voulu savoir pourquoi on parle toujours de certains concepts, dans un monde complètement changé. Nos collègues lui ont démontré, sur place, l’opérativité des concepts du dernier Lacan dans l’actualité. C’est ce que chacun aura à vérifier dans la lecture de ce volume qui s’annonce passionnante !

[1] Le lundi 19 janvier 2015 s’est tenue à la Librairie Tschann, 126 boulevard du Montparnasse à Paris, une rencontre autour du livre « Être mère – Des femmes psychanalystes parlent de la maternité», sous la direction de C. Alberti, avec les contributions de Agnès Aflalo, Francesca Biagi-Chai, Marie-Hélène Brousse, Carole Dewambrechies-La Sagna, Dominique Laurent, Anaëlle Lebovits-Quenehen, Esthela Solano-Suárez et Rose-Paule Vinciguerra, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2014, en présence des auteures.

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De la fascination à la parole

Lors de la soirée des AE qui s’est tenue le 13 janvier 2015 au local de l’École sur le thème de l’année consacrée à « L’adoration du corps », Bruno de Halleux a introduit la question de l’imaginaire et du corps. « Le parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a »[1], annonçait-il dans son argument.

Chaque AE[2] a donné sa version de l’impact de l’image dans le corps et a précisé comment il s’en était défait, à la fin de l’analyse.

En effet, celle-ci a permis de se détacher de la captation propre au fantasme, et pour chaque AE ce moment s’est présenté comme une dissolution du fantasme dans l’analyse. Pour les uns, le fantasme se traverse comme une longue marche où se défait, petit à petit, la fiction qui tenait l’image du corps et en voilait le trou. Pour d’autres, cette traversée s’est produite avec l’interprétation de l’analyste qui a fait voler en éclats l’identification qui soutenait le sujet dans sa position d’être, et masquait le réel du corps. Dès lors, qu’en est-il de l’image, une fois le fantasme traversé ? Où passe la fascination de sa propre image, et comment fait-on pour qu’elle ne s’impose plus dans sa dimension de leurre ? Comment vit-on sans le support du croque-mort  (Bernard Porcheret), de la femme implorante (Marie-Hélène Blancard), de la femme avortée (Michèle Elbaz), de la femme tombée (Danièle Lacadée-Labro) et de l’homme aspiré par le regard (Bruno de Halleux) ?

L’image a un effet de fascination. Chaque texte en a témoigné. Ce signifiant de fascination provoque leurre, aveuglement, et il marque la puissance de l’image dans le psychisme, sa puissance d’inertie et de mortification. Dans les témoignages des AE, nous voyons à quel point sa prégnance a été l’objet d’une image qui s’impose comme déchet, ou comme image chutée, mortifiée, éperdue ou captatrice du corps féminin. Elle fait fixation de jouissance. Elle cristallise le point à partir duquel le sujet supporte son être. Mais l’image ne fait pas trou. Elle permet au contraire de tenir le corps, et dans chaque texte, nous retrouvons la trace de sa fonction et de sa participation à faire fascinum, donnant au regard sa valeur d’objet a, cause de la sidération. Qu’elle soit tordue, incertaine, illusoire, marquée d’un moins, floutée, défaite, elle tient le sujet par le biais du fantasme mais pas seulement. La fascination emprisonne l’image jusqu’à son point d’horreur, elle peut même traverser les frontières, se délocaliser comme nous le montre les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher perpétrés le mercredi 7 janvier 2015.

Pascal Quignard, interviewé à l’occasion de la sortie de son livre Le sexe et l’effroi, en 1994, indiquait que « les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos. Du sexe masculin dressé, c’est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c’est-à-dire la pétrification qui s’empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. »[3] Quelque lignes plus loin, il souligne que « les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de l’effroi et de la fascination. »

Saluons dans les travaux des AE, cette mise en pièces de la fascination, cette dissolution de l’image par la traversée du fantasme, cette ouverture à la parole, la parole qui transmet la singularité de chacun, cette parole joyeuse qui parfois nous tombe dessus, comme lors de cette soirée des AE du 13 janvier 2015…

[1] Lacan J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 66. [2] Nous avons entendu les exposés de Bernard Porcheret, Marie-Hélène Blancard, Michèle Elbaz, Danièle Lacadée-Labro et Bruno de Halleux. La soirée était animée par Hélène Bonnaud. [3] http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01025213.htm

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