
De la fascination à la parole
Lors de la soirée des AE qui s’est tenue le 13 janvier 2015 au local de l’École sur le thème de l’année consacrée à « L’adoration du corps », Bruno de Halleux a introduit la question de l’imaginaire et du corps. « Le parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a »[1], annonçait-il dans son argument.
Chaque AE[2] a donné sa version de l’impact de l’image dans le corps et a précisé comment il s’en était défait, à la fin de l’analyse.
En effet, celle-ci a permis de se détacher de la captation propre au fantasme, et pour chaque AE ce moment s’est présenté comme une dissolution du fantasme dans l’analyse. Pour les uns, le fantasme se traverse comme une longue marche où se défait, petit à petit, la fiction qui tenait l’image du corps et en voilait le trou. Pour d’autres, cette traversée s’est produite avec l’interprétation de l’analyste qui a fait voler en éclats l’identification qui soutenait le sujet dans sa position d’être, et masquait le réel du corps. Dès lors, qu’en est-il de l’image, une fois le fantasme traversé ? Où passe la fascination de sa propre image, et comment fait-on pour qu’elle ne s’impose plus dans sa dimension de leurre ? Comment vit-on sans le support du croque-mort (Bernard Porcheret), de la femme implorante (Marie-Hélène Blancard), de la femme avortée (Michèle Elbaz), de la femme tombée (Danièle Lacadée-Labro) et de l’homme aspiré par le regard (Bruno de Halleux) ?
L’image a un effet de fascination. Chaque texte en a témoigné. Ce signifiant de fascination provoque leurre, aveuglement, et il marque la puissance de l’image dans le psychisme, sa puissance d’inertie et de mortification. Dans les témoignages des AE, nous voyons à quel point sa prégnance a été l’objet d’une image qui s’impose comme déchet, ou comme image chutée, mortifiée, éperdue ou captatrice du corps féminin. Elle fait fixation de jouissance. Elle cristallise le point à partir duquel le sujet supporte son être. Mais l’image ne fait pas trou. Elle permet au contraire de tenir le corps, et dans chaque texte, nous retrouvons la trace de sa fonction et de sa participation à faire fascinum, donnant au regard sa valeur d’objet a, cause de la sidération. Qu’elle soit tordue, incertaine, illusoire, marquée d’un moins, floutée, défaite, elle tient le sujet par le biais du fantasme mais pas seulement. La fascination emprisonne l’image jusqu’à son point d’horreur, elle peut même traverser les frontières, se délocaliser comme nous le montre les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher perpétrés le mercredi 7 janvier 2015.
Pascal Quignard, interviewé à l’occasion de la sortie de son livre Le sexe et l’effroi, en 1994, indiquait que « les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos. Du sexe masculin dressé, c’est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c’est-à-dire la pétrification qui s’empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. »[3]
Quelque lignes plus loin, il souligne que « les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de l’effroi et de la fascination. »
Saluons dans les travaux des AE, cette mise en pièces de la fascination, cette dissolution de l’image par la traversée du fantasme, cette ouverture à la parole, la parole qui transmet la singularité de chacun, cette parole joyeuse qui parfois nous tombe dessus, comme lors de cette soirée des AE du 13 janvier 2015…
[1] Lacan J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 66.
[2] Nous avons entendu les exposés de Bernard Porcheret, Marie-Hélène Blancard, Michèle Elbaz, Danièle Lacadée-Labro et Bruno de Halleux. La soirée était animée par Hélène Bonnaud.
[3] http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01025213.htm
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