Prenons la contingence incarnée comme des « accidents de signifiants » [1], qui causent des effets de sens avec lesquels le parlêtre construit une fiction à laquelle il croit et se voue. Il les isole en élucubrant encore et encore, croyant pouvoir écrire le rapport sexuel. Or, « ce qui est plus coton, si je puis dire, c’est le rapport de la jouissance et du sens. Ça, ça ne se prête pas à une traversée. [L]e réel […] n’est pas dialectique, et qu’en cela, il comporte un élément ou un caractère rebelle » [2]. L’analyse bute sur ce point. Alors, comment trouver une limite au déchiffrage à l’infini de l’inconscient, un « point de serrage, agrafe » [3] pour sortir de l’infinitude [4] ?
Dans le Séminaire XX Encore, Lacan fait de la contingence un « outil conceptuel » [5] auquel l’analysant recourt pour tenter d’élaborer l’expérience analytique. Cette tuché le désincarcère de l’automaton dans lequel il est pris et dont il s’est épris, et vise le réel de son mode de jouir, irréductible, un reste absolu qui « ne peut pas être réduit au-delà » [6].
Cet événement contingent, bien qu’imprévisible, n’est pas un pur hasard. Pris dans la batterie signifiante de l’analyse, il relève d’un effort de nomination. Le signe d’un S1 se détache et permet que ça « cesse de ne pas s’écrire » [7]. Je m’appuierai ici sur la soirée des AE du 25 mai 2021 pour préciser ce point.
Un signifiant nouveau, incomparable et inimitable, tout comme la modalité sous laquelle il a surgi, « pos[e] une extériorité à partir de laquelle il est possible de sortir de l’infinitude et de ce point de réel qui […] habite [le sujet] » [8]. Ce peut être une équivoque qui ruine le sens [9], une écriture [10] où la lettre troue le sens et rend possible l’écriture, ou encore un événement de corps « où ça ne parle à personne » [11] et sur lequel il n’y a plus rien à élucubrer. C’est une liste, bien entendu, non exhaustive. La sortie de l’analyse est un saut, un acte [12] d’une nature tout à fait particulière, une « causalité réelle […] nettoyée de l’image comme du sens [qui] est sinthome » [13]. Aussi, trouver « la bonne manière » de sortir ne se fait pas forcément en une fois [14]. Cette sorte de fulgurance ne brille pas et ne se clame pas. Ce type de trouvaille inédite ne peut se brandir tel un trophée, bien qu’il s’agisse de l’exposer. Elle se décline plutôt comme « une possibilité discrète qui s’ouvre » [15] permettant de situer ce qui itère sans fin pour décider d’en sortir. Le sens, qui était là au début, est dévalorisé en tant que le sens, « ça foire toujours » [16], nous dit Lacan.
La « nécessité de faire avec la contingence du réel » [17] serait de l’ordre d’un consentement, se faire dupe du mot de la fin qu’il n’y a pas et dire oui à la sortie de l’infinitude. La lettre, précisément, fait bord au trou de l’infini [18] et rend possible un traitement de la jouissance qui, prise au pied de la lettre, peut s’écrire.
[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 18 mai 2011, inédit.
[2] Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », La Cause freudienne, n°78, juin 2011, p. 179, disponible sur le site de Cairn.
[3] Laurent É., « L’impossible nomination, ses semblants, son sinthome », La Cause freudienne, n°77, mars 2011, p. 72, disponible sur le site de Cairn.
[4] Cf. Gayard S. & Horne Reinoso V., « Argument », Sortir de l’infinitude. Soirée de la passe. Les nœuds du temps, 25 mai 2021, inédit.
[5] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », op. cit.
[6] Miller J.-A., « Nous sommes tous poussés par des hasards à droite et à gauche », La Cause freudienne, n°71, juillet 2009, p. 70, disponible sur le site de Cairn.
[7] « C’est dans ce cesse de ne pas s’écrire que réside la pointe de ce que j’ai appelé la contingence » (Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 86).
[8] Cf. Horne Reinoso V., intervention lors de la soirée de la passe Sortir de l’infinitude, op. cit.
[9] Cf. Gayard S., intervention lors de la soirée de la passe Sortir de l’infinitude, op. cit.
[10] Cf. Shanahan F. F. C., intervention lors de la soirée de la passe Sortir de l’infinitude, op. cit.
[11] Miller J.-A., « L’inconscient et le sinthome », La Cause freudienne, n°71, op. cit., p. 78, disponible sur le site de Cairn.
[12] Cf. Horne Reinoso V., intervention lors de la soirée de la passe Sortir de l’infinitude, op. cit.
[13] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », op. cit.
[14] Cf. Gayard S., intervention lors de la soirée de la passe Sortir de l’infinitude, op. cit.
[15] Ibid.
[16] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 20 novembre 1973, inédit.
[17] Miller J.-A., « À la merci de la contingence », La Lettre mensuelle, n°270, juillet-août 2008, p. 8, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net.
[18] Cf. Gayard S. & Horne Reinoso V., « Argument », op. cit.