
« S’extraire du signifiant-maître enfant »
Dans le cadre des enseignements de l’ECF, Daniel Roy fera cette année cours sous le titre : « Nouvelles perspectives sur la psychanalyse de l’enfant ». Il nous en livre ici l’argument, et a accepté de répondre à trois de nos questions.
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La perspective que je souhaite prendre pour cette année d’enseignement est la suivante : la psychanalyse de l’enfant a changé dans sa visée et dans ses méthodes et ce qui se dépose pour nous des dires des enfants en analyse, de par le témoignage de leurs analystes, est propre à nous enseigner sur la condition de l’enfant moderne.
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Hebdo-Blog : Nouvelles perspectives, nouveaux enfants ou nouveaux psychanalystes ?
Daniel Roy : Nouvelles perspectives, oui. Ce sont celles données par les textes de Jacques‑Alain Miller [1] qui accompagnent et orientent les travaux de l’Institut de l’Enfant depuis sa création et ceux des réseaux du Champ freudien partout dans le monde. Il est temps d’en exploiter toutes les ressources. Dans « exploiter » il y a « exploit », l’exploit que c’est de s’extraire du signifiant-maître « enfant » pour faire la place à la naissance du sujet sur fond de jouissance. « L’immixtion de l’adulte dans l’enfant », « l’idéal du moi qui n’a pas cristallisé », voilà quelques exemples de pistes que nous suivrons pour tenter de repérer les modifications, et les régularités, que nous constatons dans la clinique.
Nouveaux psychanalystes, à vérifier, c’est-à-dire savoir ce qui opère quand on ne parie pas sur le père. Un certain ordinaire de la psychose se recueille alors, auquel nous n’avons peut‑être pas encore fait toute sa place dans nos conversations et nos publications.
Nouveaux enfants, sans nul doute, maintenant que l’enfance, construction sociale éminente distinguée par l’historien Philippe Aries, ne protège plus l’enfant, devenu individu de droit et de devoir, et donc soumis sans médiation aux normes du pouvoir bio-psycho-social, désormais solidement établies dans le discours courant. Reprendre à notre compte le dire de Lacan quand il énonce : « À la vérité il n’est pas forcé que l’homme soit éduqué, il fait son éducation tout seul[2] », cela change notre perspective et sur les enfants et sur ce qui oriente les psychanalystes qui les accueillent.
H.-B. : L’autisme, mais aussi les troubles des conduites, ou encore l’hyperactivité : autant de parts de marché visées par les lobbys cognitivo-comportementaux. La psychanalyse d’enfants est ainsi aux premières loges d’une bataille économique, et donc politique. Où en sommes‑nous ?
D. R. : Ces « parts de marché » sont celles découpées sur le corps social par des discours qui rejettent activement la subjectivité qui se déduit de la prise dans les chaînes signifiantes. Ces discours prélèvent leur dîme sur la jouissance extraite des corps et des esprits soumis à l’observation, à l’évaluation et à la classification des experts. Nous ne pouvons pas prendre à la légère la classification du DSM, dans la mesure où elle fonctionne déjà comme le résultat de l’application du big data sur des cohortes de « comportements » considérés comme déviants. Mais déjà, les parents, et les sujets concernés eux-mêmes, comme cela est le cas pour l’autisme, réagissent à ces assignations. Face à ces nominations autoritaires, les psychanalystes proposent aux enfants et à leurs parents le pouvoir faible de la parole, qui exclut la violence des slogans et des recettes imposés.
H.-B. : L’Institut de l’Enfant met les « enfants violents » au programme de sa journée en 2019. Comment s’y articulera cet enseignement ?
D.R. : Nous croiserons en chemin, sans nul doute, la « chose violente » dont nous mesurons l’impact sur les enfants d’aujourd’hui. Mais gardons à cette Journée de l’Institut de l’Enfant la primeur des travaux en cours dans les divers groupes et attendons les surprises que Caroline Leduc et son équipe nous préparent. Il sera temps, après le 16 mars, d’en souligner certaines arêtes, en nous avançant vers les Journées PIPOL, car l’Investigation des Révoltes Subjectives que sont les symptômes ouvre à un autre monde que celui promis par l’Imagerie par Résonance Magnétique qui traque les dysfonctionnements cérébraux.
[1] Miller J.-A., « Le savoir de l’enfant », « Interpréter l’enfant », « En direction de l’adolescence », « Enfants violents ». Ces quatre textes se trouvent dans les volumes de la Collection La petite Girafe, aux éditions Navarin.
[2] Lacan J., Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2002, p. 71.
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