Chaque enfant a été confronté à l’impuissance de savoir ce que les adultes savaient. Ainsi en alla-t-il du fameux petit Hans qui, face à une pluie de questions qu’il recevait de son père dont celle s’il avait peur de lui, lui répliqua : « Tu sais tout ; je ne savais rien. [1] »
Les enfants sont-ils aussi ignorants qu’on le croit ou ont-ils un rapport spécifique au savoir que les adultes ont eux-mêmes oublié quand ils s’adressent à eux ?
Cette question doit en premier lieu nous faire souligner que, contrairement à ce que l’on peut croire, la psychanalyse avec les enfants est loin d’être moins compliquée qu’avec les adultes. Il y a en effet une tentation orthopédique toujours présente avec les enfants, notamment quand on veut comprendre trop vite ce qu’ils disent et que l’interprétation vire alors à l’explication.
C’est ce dont la pratique avec les enfants doit se garder, et partant ce qui nous fait dire qu’il n’y a pas une méthode spécifique adaptée aux enfants dans la psychanalyse.
Ainsi Freud disait-il de Hans qu’il avait besoin d’aide pour découvrir au cours de son analyse des choses qu’il ne savait pas dire lui-même.
Lorsqu’un analysant adulte se pose la question de ce qu’il est comme enfant, par exemple à partir d’un rêve où serait aussi convoqué l’analyste, est-ce pour parler de ses rapports de dépendance à ses parents, de leur toute-puissance dans son enfance, et à la suite de sa demande d’être l’enfant de son analyste ?
Non, ce serait faire fausse route, car, pour la psychanalyse, c’est bien au-delà que la question du sujet est à situer, c’est-à-dire au niveau où œuvre le fantasme pour interroger le désir de l’Autre. Et il n’en va pas autrement pour un sujet dit infans.
Combien d’enfants ne forment-ils pas ainsi le fantasme d’être issus d’une autre famille, d’avoir d’autres parents, en d’autres termes posent la question d’où ils viennent, de quel désir ils sont le produit, et ce, non au niveau des circuits imaginaires des relations familiales mais à celui de l’inconscient, de cet Autre qui ne peut donner de réponse au sujet sur ce qu’il est.
Analyser un enfant, ou encore un adulte qui parle de lui enfant, ne revient pas à intervenir auprès du sujet pour qu’il prenne conscience de la façon dont ses relations avec ses parents, ses attachements, ainsi que ce qu’il a reçu de savoir de la part de ses proches ou de l’école constituent un obstacle pour qu’il sache ce qui ne va pour lui. Ce ne serait que procéder par la suggestion en renforçant son moi et perdre de vue ce qu’il est comme sujet et ce qu’il en est du savoir inconscient.
La question du sujet ne saurait non plus se référer à ce qui résulterait d’un abandon, d’un sevrage, d’un manque d’amour, etc. La vie d’un sujet, si courte soit-elle, n’est pas orientée par un vécu, mais par les mots, les signifiants qui auront été parlés et entendus pour chacun dans sa particularité, et auront laissés leur empreinte, soit quelque chose qui « ensuite ressortira en rêves, en toutes sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire [2] ». C’est à ce propos que Lacan utilisera le terme de motérialisme [3], pour y situer la prise de l’inconscient et partant l’enracinement du symptôme, en d’autres termes ce qui cloche pour le sujet.
C’est ce que l’expérience analytique doit permettre d’articuler, à partir des strates de savoir qui s’enseignent en son nom. Qu’en est-il donc du sujet dès l’enfance, quand l’inconscient ne saurait se confondre avec la pensée que l’on qualifie d’adulte ? Aucune maturation, aucun progrès ne définissent l’inconscient et c’est pourquoi, dans les cures avec des enfants, les psychanalystes ont à répondre à la hauteur du sujet.
Lors de cette Journée, avec les consultants et praticiens du CPCT orientés par la psychanalyse, sera interrogé ce qui, dans les traitements, à partir de symptômes tels que « Dys… », difficultés d’apprentissage, angoisses, peurs et leurs cortèges d’agitation ou de repli, relèverait d’un savoir inconscient. Ce savoir qui n’est pas de l’ordre des savoirs transmis, appris ou inculqués, lesquels sont un mélange de symbolique et d’imaginaire, est défini par Lacan comme un savoir « pas tout à fait dans le Réel, mais sur le chemin qui nous mène au Réel [4] ».
[1] Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1973, p. 157.
[2] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12.
[3] Ibid., p. 13.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 11 juin 1974, inédit.