
Vers la journée du CPCT-Paris ” Une séance au CPCT “
1) L’argument de la journée mentionne une phrase de Freud, extraite de « l’engagement du traitement » qui compare la psychanalyse à un jeu d’échecs, attirant notre attention sur la variété des coups qui y sont portés au delà de l’ouverture et de la conclusion, s’agit-il, pour celui qui vient rencontrer un analyste au CPCT, de s’engager dans une partie et avec qui la joue-t-il ?
Ce sont les premières lignes de ce texte de Freud, intitulé « l’engagement dans le traitement » ou « Le début du traitement ». Le jeu renvoie toujours à une question de stratégie. J’ai une traduction antérieure à celle qui figure dans l’argument, où il est écrit que « seules les manœuvres du début et de la fin permettent de donner de ce jeu une description schématique complète […] », pour ne retenir que ce bout de phrase où figure le terme de manœuvres et je n’ai pas vérifié si ce mot était présent dans la version originale. La stratégie, selon Lacan, se trouve être l’un des trois termes concernant l’action de l’analyste, avec sa tactique et sa politique. La stratégie, ce serait l’action où celui-ci serait moins libre qu’en sa tactique, et il le serait encore moins quant à sa politique qui domine les deux précédentes.
Dans le propos de Freud, nous sommes renvoyés au début et à la fin du jeu. Et, par analogie en effet, pour finir une analyse, encore faut-il l’avoir commencée. Et ce commencement est un moment crucial qui peut se produire dans le traitement au CPCT, et ce, pas forcément au début du traitement. Quant à la fin, c’est une autre question. Ceci demanderait des développements plus longs qui ne peuvent se faire ici, mais je renvoie au travail du CPCT-Paris, lors de sa Journée de 2016, intitulée « L’inconscient éclair, temporalité et éthique », dont une publication paraîtra prochainement dans la Collection Huysmans.
Lacan a commenté cette métaphore du jeu des échecs dans son séminaire, à propos de la cure menée par Ella Sharpe et que celle-ci relate autour de l’analyse d’un « rêve singulier ». Elle y dit « que l’analyse pourrait être comparée à un jeu d’échecs qui tire en longueur », mentionnant que c’est du fait de sa position qui vise à mettre en échec son patient, ce qui « après quoi il n’y a plus que l’alternative de la mort ».
Lacan trouve cette référence au jeu d’échecs curieuse, mais il s’y arrête et dit que cela mérite de l’attention, « parce que, ce qu’il y a de plus beau et de plus saillant dans le jeu d’échecs, c’est ceci – chacune des pièces est un élément signifiant », mais aussi parce que le jeu, c’est « une série de mouvements en réplique, fondés sur la nature de ces signifiants, […] ». Pour résumer, c’est au fur et à mesure du jeu, qu’il y a une « progressive réduction des signifiants qui sont dans le coup. » Il en irait de même dans l’analyse, à savoir une réduction du nombre des signifiants pour y saisir la position du sujet.
Il ne s’agit donc pas, dans l’analyse, de considérer que le sujet, à l’instar de la stratégie des jeux, serait entièrement calculable et réduit « à la matrice de combinaisons signifiantes ». Lacan indique, qu’au-delà il faut ajouter d’autres références que celle du jeu, telles que la linguistique et la logique. Néanmoins, il n’exclue pas celle du jeu, que l’on retrouve aussi à propos de la cure, comme celle du jeu de bridge, où Lacan souligne que dans la cure on est bien plus que deux. C’est ce qui me permettra d’aborder la deuxième partie de votre question.
S’il se joue une sorte de partie d’échecs, à laquelle on ne saurait toutefois réduire la cure puisqu’il s’agit d’aller au-delà de l’intersubjectivité, il faut compter sur la place du mort, soit la place vide, celle du silence de l’analyste sur ses propres signifiants – en aucun point comparable à celle du mort au bridge – mais aussi celle de l’Autre du sujet, à savoir cet Autre qu’il s’agit de cerner comme étant manquant, c’est-à-dire barré. A ignorer ces différences d’avec les jeux de stratégie, la cure peut devenir interminable. Il est donc essentiel que l’analyste se positionne ainsi dès le début du traitement, c’est-à-dire qu’il ne soit pas l’unique partenaire du sujet.
2) La première séance au CPCT peut-elle être cet instant de voir, moment inaugural, où l’attente se précipite ? Un peu comme dans les jeux de stratégie… L’allure du premier coup dans une partie pourrait-elle donner une tonalité au jeu ?
Il ne s’agit pas de considérer que la première séance serait celle de l’instant de voir, c’est-à-dire, de procéder selon une chronologie. Le temps logique n’est pas une progression. L’instant de voir peut durer un certain temps, sans compter que la question du temps logique peut se jouer dans une seule et même séance, une séance décisive qui va accuser un changement de position du sujet. Donc, point de préjugés à avoir sur la durée du temps logique élaboré par Lacan, lequel se décompose en trois temps, celui pour voir, celui pour comprendre et celui pour conclure.
Aucun de ces trois temps ne saurait se dire comme tel, s’il n’y en avait pas trois. Ils ne sont pas isolables. « S’il n’y a pas ces trois, formulait Lacan, il n’y a rien qui motive ce qui manifeste avec clarté le deux, à savoir cette scansion que j’ai décrite qui est celle d’un arrêt, d’un cesser et d’un re-départ. » Ce qui compte, ce n’est pas le contenu du temps, sa mesure, à savoir sa longueur, mais d’avoir fait les trois. Ce ne sera que dans l’après coup des scansions, qui font le passage d’un temps à un autre, que ces mouvements pourront fonctionner comme preuve.
Bien sûr, ainsi que je le disais dans la précédente réponse, le premier coup est fondamental dans la partie qui va se jouer, mais, contrairement au jeu qui procède d’une usure liée au temps qui s’étire, ce premier coup ne prendra sa valeur de premier coup, qu’avec les deux autres, en termes cette fois de temps logique. C’est dire qu’il n’y a pas à avoir non plus de préjugé sur la durée d’une cure. Et si celle-ci ne peut réellement s’achever au CPCT-Paris, elle peut le faire au-delà, il n’en demeure pas moins que le coup de départ aura compté dans ce cas. Sinon, dans le meilleur des cas, une certaine réduction des signifiants aura pu jouer dans le temps imparti au traitement et pourra ainsi permettre au sujet en jeu d’être plus à même de repérer sa position, et ce, qu’il poursuive ou non son travail psychanalytique.
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