« Faut-il enseigner la psychanalyse à l’Université ? » [1] se demande Freud en 1919, lorsqu’il fut question d’intégrer la psychanalyse dans les études de médecine en Hongrie. Bien que l’analyste puisse se réjouir de l’inscription de la psychanalyse à l’enseignement universitaire, Freud a l’idée qu’il « peut se passer de l’Université sans aucun inconvénient » [2]. L’analyste peut trouver des indications théoriques dans la littérature, comme dans les réunions des Associations psychanalytiques ; quant à son expérience pratique, il peut l’acquérir, outre le moyen de l’analyse personnelle, « par le traitement de cas sous […] la supervision d’un psychanalyste reconnu » [3].
Pour Lacan, le discours analytique n’est pas matière d’enseignement, car il n’a rien d’universel. Toute la théorie analytique secrétée depuis Freud n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit du plus intime pour un sujet. Pas de savoir univoque, ni de super-savoir : le discours analytique ne s’appréhende qu’au cas par cas.
Dire que le discours analytique ne s’enseigne pas ne veut pas dire que la psychanalyse ne peut pas être enseignée. Le succès et la vitalité du Département de psychanalyse de Paris 8 en témoignent. Mais la théorie analytique ne remplace en aucun cas l’expérience d’une analyse. Freud, à sa manière, l’avait entraperçu en 1919, lorsqu’il objecte que « jamais l’étudiant en médecine n’apprendra ainsi [à l’Université] à pratiquer une psychanalyse correcte » [4]. Lacan va plus loin quand il s’adresse à ses élèves à Vincennes, dans les années soixante-dix [5]. À Jacques-Alain Miller de lui prêter ces mots : « Sachez bien et faites savoir que rien de ce qui vous sera enseigné de la psychanalyse à l’Université ne vous permettra de faire, vous, l’économie d’une psychanalyse. Il vous faudra, comme l’indique l’ouverture des Écrits, y mettre du vôtre, payer de votre personne, et ce, en tant que tout autre chose qu’un élève, à savoir en tant qu’analysant » [6].
Comment enseigner alors ce qui ne s’enseigne pas ? Comment, à partir d’une expérience contingente, « hausser le cas au paradigme, comme singularité » [7], et produire des effets de formation ?
La pratique du contrôle, telle qu’elle fut introduite par Freud, a été fortement critiquée par Lacan. Dans « Fonction et champ de la parole et du langage », il compare ironiquement les Sociétés qui procèdent de l’IPA à « une auto-école, qui, non contente de prétendre au privilège singulier de délivrer le permis de conduire, s’imaginerait être en posture de contrôler la construction automobile » [8]. À l’École de Lacan, il n’y a pas de distribution de permis de conduire une cure analytique : l’analyste ne s’autorise que de lui-même, à partir de l’expérience qu’il fait de sa différence absolue dans ce qu’elle a d’incurable. De lui-même « et de quelques autres » [9], ajoute Lacan – ce qu’incarne la Commission de la garantie. Si la pratique du contrôle est une des conditions de la formation de l’analyste, avec l’analyse personnelle et la formation théorique, elle n’y est pas obligatoire, et relève ainsi du désir de chacun. Et pourtant, « le contrôle s’impose », comme le souligne Lacan [10].
La Commission de la garantie de l’ECF a organisé en octobre dernier une soirée sous le titre : « Analyse du contrôle et contrôle de l’analyse », abordant ces thématiques. L’Hebdo-Blog a le plaisir de publier les textes des interventions de cette remarquable rencontre.
Bonne lecture.
Ligia Gorini
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[1] Freud S., « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’Université ? », in Œuvres complètes. Psychanalyse, vol. XV, Paris, PUF, 1996, p. 111.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 114.
[5] Lacan J., « Journal d’Ornicar – Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ?, n°17/18, printemps 1979, p. 278.
[6] Miller J.-A., « “Tout le monde est fou” AMP 2024 », La Cause du désir, n°112, novembre 2022, p. 53.
[7] Miller J.-A., « En ligne avec Jacques-Alain Miller », La Cause du désir, n°80, février 2012, p. 9. Consultable à https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2012-1-page-7.htm
[8] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 240.
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit.
[10] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 235.