C’est une demande de savoir qui amène le praticien alors débutant en contrôle. Savoir quelle conduite tenir devant les crises et la plainte d’une patiente, mais aussi savoir ce qu’il en serait de l’après-coup d’un attentat sexuel subi par celle-ci, afin de pouvoir lui répondre de la bonne façon.
Ce n’est pas au niveau de cette demande que le contrôleur lui répondra, mais en le renvoyant à l’analyse, ce qui vaudra comme interprétation. Car ce n’était pas un défaut de savoir qui faisait obstacle dans sa pratique mais bien un rien vouloir savoir de sa propre jouissance. La reprise d’une analyse fut ici l’effet du contrôle.Lilia Mahjoub
J’évoquerais pour l’occasion mon début professionnel, où, après une première tranche d’analyse, je commençais à recevoir des patients en cabinet, où j’entamais un contrôle chez un analyste de l’ECF, et où j’y questionnais, entre autres cas, celui d’une jeune femme qui était aux prises avec l’idée d’en finir devant le retour d’un père qui avait abusé d’elle alors qu’elle était enfant. Le père avait été condamné, et elle était néanmoins parvenue à se construire, à réussir des études supérieures, sans plus avoir affaire à lui. Ce qui l’avait amenée à consulter, c’est le retour de son père qui, après avoir demandé à la revoir, s’était permis de minimiser, voire de banaliser ce qu’il lui avait fait subir. Elle en était ressortie, selon ses termes, « salie, meurtrie, en proie à une colère folle ».
J’ai proposé ce cas à la Soirée de la Garantie centrée sur « Analyse du contrôle et contrôle de l’analyse » [1] pour deux raisons.
La première, parce qu’il met en valeur l’effet de relance et de ré-orientation du contrôle chez un débutant aux prises avec ce type de plainte : avec cette patiente, en effet, je restais étonné, embarrassé de ses montées de colère, me demandant quelle conduite tenir. En fait, j’avais du mal à saisir ces manifestations aigües comme le retour des effets de l’attentat sexuel dont elle avait été victime, méconnaissant la notion cruciale d’après-coup mise en valeur par Jacques Lacan, et où la seconde rencontre est l’occasion d’une excitation sexuelle qui fait surgir la défense. J’ajouterai aujourd’hui que ma gêne tenait aussi à ce que je ne savais pas comment répondre de la bonne façon à l’impossible à supporter qu’avait suscité le retour du père, avec la banalisation revendiquée de son versant hors-la-loi.
Après quelques entretiens où je restais sans doute trop silencieux, celle-ci me lança, « vous ne me servez à rien », et m’annonça sa décision d’en rester là. C’est là que le contrôleur m’avait dit « et vous l’avez laissé partir comme ça, sans autre mot ? » et après une réponse embrouillée où je reconnaissais que son départ m’avait laissé entre soulagement et culpabilité, sans que je ne puisse trancher, il avait ajouté, « là, ça relève de l’analyse ». Saisi par la vérité de sa réplique, – je n’étais pas, en effet, en mesure de répondre à cette sortie sur le mode du règlement de compte –, je reprenais une analyse avec un membre de l’ECF.
S’il vaut mieux éviter ici de parler d’interprétation de la part du contrôleur, le contrôle n’étant pas le lieu de l’analyse, le contrôleur m’a néanmoins « fait saisir », pour reprendre la formule amenée par Christiane Alberti [2] lors de Question d’École de 2020 sur le contrôle, que l’obstacle, la résistance était d’abord la mienne. Et parce que cet obstacle relevait d’un point aveugle, il fallait un autre lieu d’analyse pour lever le « je n’en veux rien savoir », et élucider pourquoi une telle irruption de jouissance pouvait me clouer le bec. Autrement dit, ce qui s’enseigne aussi dans le contrôle, c’est la nécessité d’avoir accompli un certain nombre de franchissements propres à sa névrose.
Mais ce qui m’a aussi amené à présenter cette vignette ancienne, c’est l’idée qu’elle illustrait en quoi la perspective qui va du contrôle à l’analyse est toujours d’actualité, en particulier, aujourd’hui, avec les psychologues qui s’installent de plus en plus tôt dans le privé, qui ont beaucoup affaire avec la psychose ordinaire, alors qu’ils ont eu très peu de formation à la clinique différentielle, et qu’ils sont dans le collimateur de la neuro-psychologie. On sait que l’accès libre et gratuit aux soins psychiques va se payer d’une mise au pas sans précédent de toute une profession par un appareillage dit scientifique, et qui vise à squeezer la causalité psychique au profit des sciences cognitives.
Il est clair que ceux qui n’inscriront pas leur clinique dans la thèse neuro se trouveront en porte-à-faux, mais d’une certaine manière, nous faisons déjà en sorte qu’ils puissent se référer et s’appuyer sur les sections et antennes cliniques pour répondre de la bonne façon à cet impossible à supporter qu’est le réel de la clinique. Dans ce sens, les ateliers d’élucidation sont en quelque sorte les prémices du contrôle.
Alors, en me référant à la formule d’Anna Aromi sur le « côté laboratoire du contrôle » [3], et en soulignant son versant éthique et politique, je dirais ou bien qu’aujourd’hui, certes nous pouvons réserver le contrôle à des analystes installés dans le système, avertis des leurres de l’imaginaire, mais par-là, nous laissons le champ libre aux laboratoires neuro dans leur instrumentalisation de la parole et de la neuro-psychologie clinique, souligné par J.-A. Miller [4], ou bien, nous soutenons le « côté laboratoire » du contrôle, en le laissant ouvert aux praticiens non confirmés. Il en serait ainsi dans ce dernier cas, pour autant que celui qui va en contrôle n’est pas sans savoir, d’une part, que la façon dont il construit son cas dit quelque chose de son fantasme, et, d’autre part, que le contrôleur est toujours en mesure de lui pointer que « là, ça relève de l’analyse ». À charge pour lui, de discerner s’il faut « faire saisir » ce qui fait obstacle, ou le respecter, voire le serrer davantage.
Autrement dit, si l’on veut bien admettre que psychologue est un des noms de l’appareillage symptomatique du sujet, le contrôle resterait une façon de « faire saisir » au psychologue débutant qui cherche un savoir constitué, que ce par quoi il est attrapé dans sa clinique ne relève pas d’un manque de savoir, mais d’un trou dans le savoir, un trou qu’il lui revient d’élucider, mais pas sans l’analyse.
Jean-Pierre Denis
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[1] Soirée de la Garantie, « Analyse du contrôle et contrôle de l’analyse », qui s’est tenue à l’ECF, le 12 octobre 2022.
[2] Alberti C., « Qu’est-ce qu’un acte de parole ? », Quarto, n°125, septembre 2020, p. 34.
[3] Cité par C. Alberti. Voir « Discussion », Quarto, n°125, op. cit., p. 45.
[4] Cf. Miller J.-A., « Neuro-, le nouveau réel », La Cause du désir, n°98, mars 2018, p. 111-121. Consultable à https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-1-page-111.htm