Une mise en tension entre le savoir clinique et l’énonciation se pose ici d’emblée. Si ce qui se joue de plus singulier dans son analyse a des effets sur la pratique du praticien, le contrôle auquel il soumet cette dernière se modifierait au fur et à mesure des temps de l’analyse. Le contrôle serait-il ainsi la caisse de résonance de l’analyse du praticien ? Serait-il le lieu où se vérifierait le point où il en est dans celle-ci ? Et ce, jusqu’au moment où le contrôlé s’entendra non pas parler de lui mais de son patient ? Ce sont autant de questions abordées par ce texte.
Lilia Mahjoub
Au cœur du contrôle est présent une tension entre le savoir clinique et l’énonciation. La manière dont on parle en contrôle de sa pratique est intrinsèquement liée aux effets analytiques obtenus dans sa cure. C’est ce que cette soirée [1] organisée par la Commission de la garantie propose de mettre au travail. Qu’est-ce qui pousse un praticien à aller en contrôle ? C’est d’abord le réel de la clinique contre lequel il se cogne dans sa pratique. Ce réel résonne nécessairement avec ce qui l’a conduit en analyse et dont il a à élaborer un savoir. Le contrôle ne peut donc s’envisager sans l’expérience de l’analyse. En cela l’intime de la cure est présent dans le contrôle, puisque ce qui se joue de plus singulier dans une analyse se répercute nécessairement sur la pratique. Le contrôle participe de la formation de l’analyste. Même s’il n’est pas l’analyse il y participe car des contrôles peuvent avoir des effets analytiques; à l’inverse l’énonciation de l’analysant en contrôle est intimement liée à la formation qu’il tire de sa cure.
La cause analytique
En 1964 dans son « Acte de fondation » [2], Lacan pose le contrôle comme l’un des trois éléments fondateurs de l’École avec la passe et le cartel. Jacques-Alain Miller, dans le liminaire de son livre Comment finissent les analyses, insiste sur cette préoccupation de Lacan d’éclairer pourquoi quelqu’un s’autorise à être analyste pour d’autres raisons qu’alimentaires [3]. La passe est l’invention de Lacan pour garantir que l’École ne soit pas une simple association de professionnels, le contrôle y participe également dans sa visée. Celui-ci n’est pas obligatoire, il repose sur un désir. Cela fait partie des manœuvres de Lacan, quand il fonde l’École freudienne de Paris, pour sortir la psychanalyse de l’impasse didactique. Élever le contrôle à la dignité d’un désir est ce qui permet de le nouer à la politique de l’École. « [L]e contrôle ne vaut rien s’il se borne à régler les relations que l’analyste-apprenti a avec ses patients. Le contrôle ne vaut rien […], s’il ne vise pas les relations de l’analyste avec la psychanalyse. » [4] Rendre le contrôle obligatoire consisterait donc à le ravaler à un contrôle de la pratique professionnelle. En revanche, il s’impose logiquement dès lors que l’analysant qui a une pratique a un rapport à la cause analytique. Celui-ci en attend un savoir sur le diagnostic, sur la construction clinique du cas ou sur la direction de la cure.
En analyse
On ne fait pas le même type de contrôle au début de son analyse et au début de sa pratique qu’à la fin et au-delà, pour celui qui a poussé son analyse jusqu’à son terme. Le contrôle se modifie au fil de l’expérience analytique. Au début de la pratique, celui qui vient en contrôle cherche bien souvent à présenter le cas de manière la plus complète possible, à présenter tout le matériel clinique dont il dispose. Les jeunes praticiens sont ceux dont Lacan dit qu’ils « font à peu près n’importe quoi et [qu’il] les approuve toujours [car] ils ont […] toujours raison » [5]. Car les laisser se risquer et payer le prix de leurs erreurs [6] est une manière de les renvoyer à leur analyse. Le jeune praticien peut aussi être celui qui se tait, or Lacan rappelle que l’analysant « n’est pas là pour s’affronter au simple silence de l’analyste » [7]. Il s’agira enfin qu’il puisse transmettre la manière dont il s’expose dans la rencontre avec son patient, au-delà du simple récit clinique.
Au fur et à mesure de l’expérience analytique, plus la production de sens s’épuise, plus le réel de l’analysant se cerne, plus le contrôle trouve aussi à se resserrer. Le contrôle devient alors le lieu où, dans l’adresse au contrôleur, l’on s’entend parler de son patient. Le contrôle se fera alors plutôt chambre d’écho ou caisse de résonnance : quelles questions n’ont pas été posées dans les entretiens préliminaires ? Quelle question ou quelle difficulté le cas nous pose-t-il ? Qu’est-ce qui a frappé dans le cas ? Quel est l’effet d’une interprétation ? Quel maniement du transfert ? Quel affect a surgi, indice d’un réel non analysé ? Ces points vifs émergeant dans un contrôle à propos de la rencontre avec un patient peuvent alors renvoyer au divan. Ainsi les allers et retours entre l’analyse et le contrôle concernent la formation de l’analyste qui s’aiguise. Cet effet de réduction dans le contrôle ne peut avoir lieu sans une longue analyse et sans par ailleurs une formation clinique qui peut se forger dans les sections clinques, dans les cartels mais aussi donc dans les contrôles.
« [Dans] l’appareil du contrôle le sujet vient en tant que praticien », pour vérifier qu’« il est analysé » [8], énonçait J.-A. Miller en 1990, c’est précisément cela qui protège le patient. Voici une définition simple de ce que peut vouloir dire « le contrôle de l’analyse ».
Contrôle et passe
À la fin de son enseignement, Lacan a pu s’étonner de comment à l’intérieur d’un contrôle l’« on puisse avoir une représentation de celui qui est en analyse » [9]. Il souligne que cela tient à une dit-mension qu’il définit comme étant l’endroit où repose un dit et il ajoute que le contrôle est de l’ordre d’une super-audition et non d’une supervision. Cette super-audition n’a-t-elle pas quelque chose en commun avec ce qui se joue dans la procédure de la passe ? J.-A. Miller a pu faire cette comparaison dans son cours « Le banquet des analystes » [10]. Dans les deux dispositifs, il y a une interposition, la transmission est indirecte. Il arrivait à Lacan de demander au passeur de se débarrasser de ses notes afin de parler du témoignage du passant plus directement. Cela résonne avec mon expérience du contrôle, où les notes et la recherche de complétude du savoir clinique se sont estompées avec le temps, au profit des points vifs et saillants du cas qui me marquent, nécessairement corrélés à la dimension de l’acte analytique.
Angèle Terrier
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[1] Soirée de la Garantie, « Analyse du contrôle et contrôle de l’analyse », qui s’est tenue à l’ECF, le 12 octobre 2022.
[2] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
[3] Cf. Miller J.-A., « Liminaire », Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin éditeur, 2022, p. 12.
[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 8 novembre 1989, inédit.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 17.
[6] Cf. Miller J.-A., « Trois remarques sur le contrôle », disponible sur le site de l’ECF, https://www.causefreudienne.org/textes-fondamentaux/trois-remarques-sur-le-controle/
[7] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, n°6/7, 1976, p. 43.
[8] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit., cours du 23 mai 1990, inédit.
[9] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », op. cit., p. 42.
[10] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit.