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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 265

Pas-folle-du-tout

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La jouissance de la femme qualifiée d’indicible se joindrait à un accès privilégié au réel. Jusqu’au tournant essentiel du Séminaire XX qui consacre la jouissance féminine au moment même où Lacan est arrivé au bout de l’impasse du grand Autre, l’accès au réel était réservé au psychotique. La femme qui n’existe pas et sa jouissance serait-elle un équivalent à la position d’incroyance en l’Autre, position première dans la psychose ? Bien évidemment non, encore convient-il de le démontrer !

Lacan distingue deux logiques dans son tableau de la sexuation. Il nous parait essentiel de bien entendre ces deux logiques comme deux modalités de réponse à quelque chose de rencontré en amont, quelque chose qui ek-siste au langage. Du côté gauche du tableau, la logique masculine se tient d’un tout reposant sur l’exception paternelle. Du côté droit, la logique féminine se formule d’un pas-tout. Yves-Claude Stavy distingue ces deux réponses : « l’une tient compte de l’existence d’un réel, au-delà de la fonction phallique. L’autre modalité logique, dite “norme mâle”, se suffisant de tenir compte d’une cause, trouvant terme et place au sein de la structure discursive inhérente à l’hypothèse inconscient »[1].

Reprenons notre question initiale. La position féminine, pas-toute, se passerait-elle de l’Autre ? En premier lieu nous pouvons avancer qu’en tant que réponse la femme n’est pas du côté du sans Autre. Allons plus loin : « La femme a rapport au signifiant de cet Autre, en tant que, comme Autre, il ne peut rester que toujours Autre »[2]. Ainsi la femme n’est-elle pas du côté de l’inexistence de l’Autre. Elle vient plutôt redoubler la faille de cet Autre, quitte à l’incarner et à en protéger le secret par le semblant. La femme en tant qu’elle n’existe pas écorne l’Autre, non pas par l’ironie propre au schizophrène qui dénonce le côté « escroc » de l’Autre, mais par son versant pas-tout qui fait la part belle à un éprouvé qui vient du réel et qui ne trouve pas de répondant du côté du discours organisé de l’Autre. Le pas-tout s’oppose ainsi point par point au pousse-à-la-femme dont Lacan parle dans « L’étourdit » [3]. Le pousse-à-la-femme d’où le phallus est forclos pourrait presque être perçu comme une conséquence de l’inexistence de la femme du côté de la psychose, inexistence qui est, elle, transclinique. Il faut voir le délire de Schreber dans cette perspective, chercher dans une quête effrénée de sens à incarner la femme qui n’existe pas. Le pousse-à-la-femme a pour visée non pas l’ek-sistence mais l’être, l’exception divine, l’Un-père. Lacan le dit, « [l]e pousse-à-la-femme […] se spécifie du premier quanteur »[4] c’est-à-dire du quanteur dit homme. La jouissance dite féminine ne concerne pas tant l’être de la femme que l’existence d’un réel qui ne trouve de réponse dans le langage qui pourtant ne cesse de répondre. À propos de Dante et de sa Béatrice, Lacan explicite cette réponse de l’Autre à la jouissance féminine : « Un regard, celui de Béatrice, soit trois fois rien, un battement de paupières et le déchet exquis qui en résulte : et voilà surgi l’Autre que nous ne devons identifier qu’à sa jouissance à elle, celle que lui, Dante ne peut satisfaire, puisque d’elle il ne peut avoir que ce regard, que cet objet, mais dont il nous énonce que Dieu la comble ; c’est même de sa bouche à elle qu’il nous provoque à en recevoir l’assurance. »[5]

La distinction entre forclusion et pas-tout est essentielle. Lacan la formule dès la fin de la première leçon du Séminaire XIX …ou pire : le pas-tout, c’est de l’ordre de la discordance là où « il n’est de forclusion que du dire, de ce que quelque chose qui existe puisse être dit ou non »[6]. La discordance du pas-tout c’est un témoignage que quelque chose ek-siste au langage, à l’Autre. Mais ce témoignage ne va pas sans un dire, un certain tout-dire même. Le pas-tout ce n’est plus l’incroyance en l’Autre du psychotique, mais bien plutôt une croyance qu’il y a du réel hors cause et sans garantie. La position du sujet qui répond à ce réel en s’en faisant le responsable se qualifie dès lors d’un pas-folle-du-tout[7].

Clément Marmoz

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[1] Stavy Y.-C., Identité sexuelle freudienne, et sexuations lacaniennes, enseignement prononcé le 23 novembre 2021 à l’École de la Cause freudienne.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A Miller, Seuil, Paris, 1975, p. 75.

[3] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 466.

[4] Ibid.

[5] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 526-527.

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 22.

[7] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 540.

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