– « Je vous ai tout dit / Je ne sais pas quoi vous raconter aujourd’hui ? »
– « Alors dites… »
Dans le dispositif analytique, la parole n’est pas porteuse d’une vérité sans équivoque. Ce qui importe, ce n’est pas l’adéquation de ce qui est dit à la réalité – celle-ci étant construite –, mais la valeur de certains signifiants qui tissent, à l’insu de celui qui parle, le réseau constituant le savoir inconscient.
Il y a le champ du langage. Il y a la fonction de la parole. Lacan interroge tout d’abord la parole du sujet « pour autant qu’elle ne consiste pas seulement pour le sujet à se dire, […] mais à se faire reconnaître » [1]. La parole est acte de reconnaissance et d’engagement. Toute parole appelle une réponse, fût-elle silencieuse. C’est aux entours de la parole que l’analyste va tenter de débusquer ce que le patient dissimulerait par ses ruses, subterfuges, artifices et feintes. C’est là que le hiatus entre le je suis et le je dis intervient. Faisant parler la vérité [2], Lacan, du reste, n’a pas écrit que la vérité dit [3].
En exergue du Séminaire, livre XVI, le hiatus insiste. Lacan indique que « l’essence de la théorie psychanalytique est un discours sans parole » [4]. C’est un discours, porté par le langage, mais pris dans une logique discursive. Voilà qui évince d’emblée toute « parlotte » et tout « procès d’interlocution ».
Ce qui se dit / Ce qui s’entend
Il s’agit non de comprendre ces dits, mais d’entendre « les tours du dit ». Cet écart entre ce qui se dit et ce qu’on veut dire laisse place à l’interprétation. Je positionnerai l’équivalence je suis ce que je dis dans ce registre. L’écart est ici gommé, annulé, et nourrit le sens. Ce dico éradique le trou du symbolique nécessaire à la production du S barré.
Chaque discours se situe entre dire et dit. Lacan en donne dans « L’étourdit » une orientation : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend »[5]. Dire est du côté de l’énonciation alors que le dit est du côté de l’énoncé. Qu’indique l’emploi du modal « qu’on dise » ?
Le verbe de cette proposition est au subjonctif et cette proposition est aussi sujet d’un verbe à l’indicatif. L’indicatif est le mode de l’assertion alors que le subjonctif exprime la possibilité, la suspension de la valeur assertive. Qu’on dise / dire devient alors une contingence à saisir. Le dire se situe sur la dimension modale [6] de l’ex-sistence, soit hors du vrai / faux.
Pour Lacan, en 1973, « toute parole n’est pas un dire, sans quoi toute parole [si elle était un dire] serait un événement. Ce qui n’est pas le cas, sans ça on ne parlerait pas de vaines paroles ! » [7] Relevons : un dire est de l’ordre de l’événement. Cela nous permet de poser qu’il y a un écho de la parole dans le corps. Là où ça parle, ça jouit [8] met l’accent sur le fait que la parole sert moins à la communication qu’à la jouissance. Elle est résonance et matière qui lie le son et le sens. « les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire. Ce dire, pour qu’il résonne, qu’il consonne, […] il faut que le corps y soit sensible » [9]. Nous sommes bien loin ici de l’identité assertive du dico « Je suis ce que je dis ».
Françoise Haccoun
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[1] Lacan J., « Discours de Rome », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 135.
[2] Lacan J., « La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 409 : « Moi la vérité, je parle ».
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 20.
[4] Ibid., p. 11.
[5] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 449.
[6] L’enseignement de Lacan utilise les quatre attributs de la logique modale classique : le nécessaire, le contingent, le possible, et l’impossible.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 18 décembre 1973, inédit.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 95.
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 17.