En 1935, Freud reçoit une lettre d’une mère nord-américaine, préoccupée par ce qu’il suppose être l’homosexualité de son fils : « L’homosexualité n’est certainement pas un avantage mais elle n’est pas honteuse, perverse ou dégradante ; elle ne peut être classifiée comme une maladie, nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle » [1]. Il lui explique que la psychanalyse ne peut guérir personne de son homosexualité : « Ce que l’analyse peut faire pour votre fils s’apparente à autre chose ». Elle peut apporter, dans les meilleurs des cas, soulagement et réconfort à un homme « malheureux, […] déchiré par des conflits intérieurs », « quel que soit son état : qu’il reste homosexuel ou qu’il soit [changé] ».
Dix ans auparavant, dans son écrit sur les conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, Freud concluait « que le contenu des constructions théoriques de la masculinité pure et de la féminité pure reste incertain » [2], soulignant l’importance de la causalité psychique, au-delà du destin anatomique.
L’actualité de cette lettre est frappante : alors que la psychanalyse ne cesse d’être objectée comme une pratique normalisante, Freud pointait déjà à l’occasion qu’elle ne relève pas d’un cadrage, ni d’une vérité universelle ; elle concerne « autre chose ». La vérité de chacun – son désir, sa jouissance – ne se laisse pas complètement attraper par les mailles du discours. Car cette vérité pas-toute, comme dira Lacan, « tient au réel » [3]. Et le désir, dans sa singularité, « est à l’opposé de toute norme, il est comme tel extra-normatif » [4].
Il revient à chacun de composer avec ce qui de son corps lui fait énigme, indépendamment de son orientation sexuelle.
Pour Lacan, être un homme ou être une femme ne dépend pas de la différence anatomique des sexes, mais de la façon dont le sujet s’inscrit par rapport au signifiant phallique. « Prenons les choses […] du côté où se range l’homme. On s’y range, en somme, par choix – libre aux femmes de s’y placer si ça leur fait plaisir. » [5] La perspective lacanienne de la sexuation engage le choix du sujet, dans sa différence absolue. Hors normes, elle se place bien loin des si critiquées cages normatives qui enfermeraient l’individu dans un binarisme réducteur, à bannir.
Contrairement à la revendication contemporaine de l’autodétermination, qui se veut dominante et inébranlable, le choix du sujet de la psychanalyse relève de la contingence, et porte la marque de l’union de la parole et du corps, dans la singularité de chacun.
Ligia Gorini
_________________________
[1] Freud S., « A letter from Freud », International Journal of Psycho-analysis, v. 32, 1951, p. 331. Traduction française consultable en ligne sur le site de L’Obs : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-la-lettre-du-dimanche/20141116.RUE0972/lettre-de-freud-j-imagine-que-vous-me-demandez-si-je-peux-supprimer-l-homosexualite.html.
[2] Freud S., « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 132.
[3] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 509.
[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 19 novembre 2008, inédit.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 67.