« Où sont-elles passées les hystériques de jadis, ces femmes merveilleuses, les Anna O., les Emmy Von N. ? », interroge Lacan en 1977. « Elles jouaient non seulement un certain rôle, mais un rôle social certain. Quand Freud se mit à les écouter, ce furent elles qui permirent la naissance de la psychanalyse. C’est de leur écoute que Freud a inauguré un mode entièrement nouveau de la relation humaine »1, poursuit-il.
En archéologue
En neurologue, Freud s’était intéressé à l’hystérie. Mais il s’est vite détourné du spectacle fascinant des hystériques exposées à la Salpêtrière. Plutôt que de les observer, il leur proposa de parler, donnant à leurs symptômes une dignité inédite. C’est l’accueil de la parole hystérique qui ouvrira la voie à la psychanalyse.
Dans ce sens, sa rencontre avec Elisabeth von R. fut décisive. C’est à cette occasion-là que Freud sera conduit à abandonner l’hypnose pour inventer le dispositif analytique. Il proposera à Elisabeth de s’allonger et de dire tout ce qui lui vient à l’esprit : c’est la naissance de la règle de l’association libre. C’est la parole de l’hystérique qui fera advenir le désir de l’analyste chez Freud.
Elisabeth von R. souffre de douleurs aux jambes, elle peine à marcher et reste cloitrée chez elle. Freud s’intéresse à son histoire. C’est en archéologue que Freud procède avec elle, tel un chercheur qui, après l’ensevelissement des vestiges du passé, retrouve leurs traces par une fouille minutieuse et une mise à ciel ouvert des souvenirs refoulés. Il s’étonne lui-même que ses « observations de malades se lisent comme des romans2 ».
D’amour et de sexualité
Elisabeth se fait l’infirmière dévouée de son père aimé et malade, jusqu’à son décès. Freud note cette circonstance de déclenchement des symptômes somatiques, que Lacan indexera comme un fait de structure : l’amour des jeunes filles hystériques pour le père châtré reste actif dans les cures actuelles. Attentif, Freud remarque que l’éveil de la douleur s’accompagne d’une « chaîne des réminiscences3», qu’il reconnaît comme un signe de vérité du symptôme. Il parle de « zone hystérogène » pour localiser sur le corps le point d’effraction d’excitation, là où la plainte nomme une douleur. Chez Elisabeth, le symptôme somatique apparaît lorsqu’une excitation éprouvée est associée à la « représentation érotique », d’abord pour un ami d’enfance puis, pensée inavouable, pour son beau-frère, au moment même du décès de sa sœur. Ces deux hommes sont marqués du sceau de l’interdit : la conversion d’un conflit moral en éprouvé corporel est un élément clinique discret, mais essentiel, qui n’a pas échappé à l’acuité de Freud qui s’orientait des détails révélateurs de la subjectivité.
Leur « rôle » aujourd’hui
L’hystérique, à sa façon, dévoile le malaise de la civilisation. À l’époque victorienne, face à un maître qui avait horreur de la sexualité, les hystériques, par leurs symptômes, pointaient le désordre intime que la sexualité introduit pour tout un chacun. Voici leur « rôle social ». C’est d’avoir su s’y rendre docile, que Freud a créé la psychanalyse. À l’ère post #Metoo, le mathème du discours hystérique, conceptualisé par Lacan, fait boussole pour la clinique contemporaine. Donner toute sa dignité à la parole hystérique permet que sa pente à dénoncer la faille chez le maître garde sa puissance subversive face aux discours contemporains.
Christelle Arfeuille
[1] Lacan J., « Propos sur l’hystérie », texte établi par J.-A. Miller, Quarto, n° 90, juin 2007, p. 8.
[2] Freud S., Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1956, p. 127.
[3] Ibid., p. 119.




