J’ai été invitée à dire quelques mots sur le thème des Journées en tant que plus-un de deux cartels. L’un portait sur le Séminaire XX, Encore, l’autre sur le Séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant. Ces deux séminaires abordent la question du non-rapport sexuel et de la jouissance féminine.
Quelle est la fonction du plus-un dans un cartel ? Dans son article sur « l’élaboration provoquée [1] », Jacques-Alain Miller définit le plus-un comme un agent provocateur : non pas celui qui sait mais celui qui ne sait pas, celui qui interroge et provoque l’élaboration d’un savoir. Le plus-un fait fonction de sujet manquant, d’un S/ qui assume sa division subjective. Le plus-un devient ainsi un moins-un : « le plus-un, dit J.-A. Miller, ne s’ajoute au cartel qu’à le décompléter [2] ». Ceci rappelle le discours de l’hystérique. Les cartellisants, S1, sont incités à produire un savoir propre à chacun.
J.-A. Miller prend comme modèle Socrate, connu « par les élaborations qu’il provoquait chez ses interlocuteurs [3] ». Mais qu’en est-il dans le cartel de l’objet a que recèle le S/ dans le discours de l’hystérique ? J.-A. Miller propose d’évacuer ce a de sa position statutaire. La fonction du plus-un n’a pas pour objectif de jouir de l’attrait que lui donne sa position. Son rôle est de mettre au travail. Par ailleurs, s’il n’a pas un savoir constitué, cela ne le dédouane pas de produire son propre savoir.
Le plus-un se présente donc avec son manque. Ceci m’évoque un passage de J.-A. Miller dans son article « Mèrefemme [4] » où il disjoint la femme de la mère. Si la mère est celle qui a : la puissance, la maîtrise et le savoir, la femme, au contraire, « c’est l’Autre qui n’a pas, l’Autre du non-avoir, l’Autre du déficit, du manque [5] ».
Il y a, toutefois, une femme dans chaque mère. Si la mère a la puissance, elle a aussi un rapport avec le manque quand elle aime notamment, car l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas.
Une femme n’est pas-toute phallique. Certes, elle a comme tout parlêtre un rapport au phallus. Elle peut être le phallus derrière le voile dans la mascarade. Elle peut aussi l’avoir dans l’enfant qu’elle met au monde.
Mais elle a, en plus, une Autre jouissance, une jouissance au-delà du phallus. Elle a un rapport privilégié au signifiant qui manque dans l’Autre, le S(Ⱥ). L’Autre barré auquel elle a affaire est marqué d’un trou, d’un vide. Il manque dans l’Autre le signifiant pour dire l’énigme du sexe. Il lui manque aussi le signifiant pour dire ce qu’est La femme. Le La ne peut donc qu’être barré. De l’Autre ne revient que le silence.
Une femme peut être fascinée par le rien, le vide, d’où jaillira une jouissance Autre, dont elle ne peut rien dire, une jouissance illimitée, tissée dans l’amour.
En supportant le manque, le plus-un assume cette part féminine. Sa seule fonction est de faire consister le pas-tout et le un par un. C’est ainsi qu’il pourra inciter les cartellisants à élaborer leur propre savoir.
Cela suppose un transfert de travail.
Qu’en est-il du transfert dans un cartel, interroge J.-A. Miller ? : « de a à S/, il y a travail de transfert, mais rallongé dans un cartel, de S/ à S1, il devient travail d’un tranfert de travail »[6].
Le plus-un est un médiateur, un facilitateur, qui donne accès à un autre transfert, le transfert à Freud et à Lacan.
[1] Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de ‘‘l’élaboration provoquée’’ », La Lettre mensuelle, n° 11, juillet 1987, p. 5-11.
[2] Ibid., p. 9.
[3] Ibid., p. 8.
[4] Miller J.-A., « Mèrefemme », La Cause du désir, n 89, mars 2015, p. 115-122.
[5] Ibid., p. 116.
[6] Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de ‘‘l’élaboration provoquée’’ », op. cit., p. 10.