La seconde soirée de l’AMP à l’ECF, ce lundi 30 novembre 2015, fut passionnante. Gérard Wajcman a superbement décrit « l’esthétisation politique des corps » lors des Jeux Olympiques de Berlin sous le fascisme, qu’il a mise en relation avec l’exposé sur le stade du miroir prononcé, à la même époque, par Jacques Lacan, mettant ainsi l’accent sur le voyage que celui-ci a entrepris de Marienbad à Berlin. Puis Pierre Naveau a évoqué, avec une élégante clarté, « la résonance des mots sur le corps » ou les effets de lalangue sur le parlêtre, pas sans le psychanalyste.
Le ressort du mystère de l’inconscient au XXIe siècle – aux prises avec une jouissance opaque devant laquelle, aujourd’hui comme en 1936, le psychanalyste ne recule pas – y fut mis en lumière là encore avec finesse.
Après les interventions, lors de la première soirée, de Marie-Hélène Roch et d’Hélène Bonnaud, que l’on peut entendre, comme les deux suivantes, sur Radio Lacan, nous continuons à cheminer avec le texte d’introduction au Congrès, prononcé en 2014 par Jacques-Alain Miller, « L’inconscient et le corps parlant », devenu, depuis, notre boussole pour attraper ce thème passionnant sous ses multiples facettes.
Aussi, et pour reprendre ses termes, la substitution du parlêtre lacanien à l’inconscient freudien, qui « fixe une étincelle », se présente-t-elle comme « un index de ce qui change dans la psychanalyse au XXIe siècle, quand elle doit prendre en compte un autre ordre symbolique et un autre réel, que ceux sur lesquels elle s’était établie ».
Ce thème, qui invite en effet les psychanalystes à décliner en quoi la psychanalyse a changé et à le démontrer, prolonge, sous d’autres formes, le thème du réel dans la civilisation auquel nous sommes confrontés, qui avait été considéré au cours du précédent Congrès de l’AMP à Paris sur le réel.
Gérard Wajcman rappelle qu’au moment où Lacan entre en scène dans la psychanalyse avec la balayette du stade du miroir, « juste avant le grand vide viennois, le feu brûle ». Et c’est là le souci de Lacan. L’enjeu pour lui est donc, déjà, de se montrer à la hauteur du temps qu’il vit.
Il s’intéresse à la passion humaine pour le corps, à l’amour de l’homme pour son image, au moment même où, dans un stade olympique, tout un peuple communie dans l’image d’un corps aryen.
La thèse de Gérard s’appuie sur l’écrit de Walter Benjamin qui déplie le thème du « fascisme comme esthétisation de la vie politique » et de la construction du peuple allemand comme œuvre d’art. Le point vif que souligne Gérard est que, dans cette esthétisation de la guerre qui promeut la foule et « la communauté du peuple », chacun renonce à être parlant et à se compter comme Un au milieu des autres : « La foule ne parle pas, elle chante, elle crie ».
Ce qui se joue au cœur de l’Europe est une guerre du beau, dont les juifs doivent être exclus.
C’est la beauté qui cache l’horreur, signal d’un réel à venir, la destruction des corps, jusqu’à la solution finale. C’est le stade préalable au massacre, repéré, dit Gérard, par Lacan. Destruction des traces mêmes.
Jouir du spectacle de la destruction des corps est donc le paradigme de cette époque, mais en sommes-nous sortis ?
Pierre Naveau, à l’inverse, montre en quoi, du corps parlant, il faut en parler. Car un dire dans le corps répond à ce qui, du signifiant, y résonne. Pierre montre ainsi en quoi c’est une voix, donnée au corps, qui produit un événement de corps. Et ainsi, aborde-t-il ce qui, de l’événement de discours, laisse des traces dans le corps.
Ce sont ces traces qui « dérangent » le corps et font symptôme, à condition, toutefois, note Pierre, et là est sa pointe, que « le sujet soit apte à les lire, à les déchiffrer ». Et comme cela ne peut se faire sans l’aide d’un psychanalyste, « le psychanalyste fait donc partie du corps parlant ». Par l’interprétation, le psychanalyste est alors celui qui désactive les bombes que les mots ont laissées sur les corps.
Il ne s’agit donc plus, selon ces deux points de vue éclairants, de taire une tragédie, mais bel et bien, dirais-je, de la dire.